Les électeurs irakiens semblent avoir surpris la plupart des observateurs. Maliki n’a pas obtenu les 120 sièges attendus, Allaoui semble être sur un pied d’égalité avec Maliki, la coalition chiite n’obtient pas grand-chose, tandis que les deux principaux partis kurdes perdent des sièges. Que s’est-il passé ?
La performance d’Allawi a certainement surpris les observateurs qui ont constamment souligné la montée politique des partis religieux chiites depuis les dernières élections.
Les efforts de Maliki à se présenter comme un rassembleur non-sectaire ont été remis ont question par sa décision de soutenir l’interdiction de centaines de candidats sunnites basée sur l’association passé avec le parti Baas ainsi qu’une crainte de l’influence iranienne accrue et de la domination chiite.
Bien que la région kurde au Nord ait connu une très forte participation des électeurs, l’Alliance kurde devra probablement perdre des sièges parlementaires. L’Alliance a été affaiblie par une poussée forte et inattendue de Gorron (« Change »), un parti kurde qui s’est engagé sur une plateforme à changer la vieille garde kurde. La course compétitive dans des villes comme Sulaimaniya montre aussi que les kurdes demeurent plus avancés dans le processus vers le pluralisme que les autres régions du pays. Le degré par lequel les Kurdes pourraient baisser d’influence au sein du Parlement dépend en grande partie de si Gorron et l’Alliance kurde peuvent présenter un front uni à Bagdad et les résultats définitifs de la région litigieuse de la région de Kirkik, riche en huile.
Diriez-vous que la vie politique en Irak évolue loin des idéologies et vers plus de pragmatisme et de compromis?
Je crois que ces élections représentent une avancée significative, malgré des irrégularités mineures et l’interdiction malavisée des anciens Baasistes par le Comité de la Justice et de la responsabilité. Chacune des coalitions de premier plan à mené sa campagne afin de se présenter comme la plus apte à lutter contre les divisions sectaires. Il est intéressant de voir que beaucoup de ces nationalistes « renaissants», sans distinction d’appartenance sectaire, distribuaient des affiches du Grand Ayatollah Ali al-Sayyid Sistani malgré le fait qu’il ait refusé d’offrir tout appui individuel. Celui qui sera désigné premier ministre devra convaincre les partis minoritaires que la sécurité et la primauté du droit l’emporteront sur la loyauté sectaire. La plupart des sondages avant et après les élections montrent que celles-ci étaient l’enjeu principal de la participation des électeurs. Cette tendance vers le compromis et le pluralisme était vraie pour les Chiites, les Sunnites mais aussi les Kurdes.
Afin de codifier ce mouvement vers le pragmatisme, le nouveau gouvernement doit agir rapidement pour adopter une loi sur le partage du pétrole national, rendre le système judiciaire indépendant et consolider l’armée. Sans de telles évolutions, les progrès vers le compromis et la modération seraient très probablement menacés par le sectarisme et la violence.
En apparence, il semble que les élections ont exprimé la volonté du peuple irakien d’être indépendant de l’influence des pays voisins. Est ce vrai? Ou, diriez-vous que l’Iran, la Syrie, l’Arabie Saoudite et les US, ont eu un rôle déterminant dans ces élections?
Il ne fait aucun doute que les acteurs extérieurs ont joué un rôle dans la formation des programmes électoraux et ont influencé des blocs d’électeurs. Cependant, contrairement aux élections précédentes, l’électorat s’est focalisé sur les questions nationales. Le soutien des Sunnites au chiite plus séculaire Iyad Allawi doit être interprété comme un progrès vers l’avant et comme un vote en faveur de moins d’ingérence iranienne. Toutefois, il y a des rumeurs qui circulent dans le pays selon lesquelles, reconnaissant la nécessité d’une approche plus nationaliste, Washington, Téhéran, Riyad et Damas se seraient mis d’accord sur le fait que le Mouvement National Irakien d’Allawi est plus apte à unifier le pays. Ces élections reflètent-ils véritablement la volonté du peuple irakien? La réponse se fera en fonction de la capacité de la coalition gagnante à former un gouvernement viable dans un temps opportun sans provoquer une dissidence politique ou sécuritaire, interne ou externe, qui déstabiliserait le pays.
Globalement, diriez-vous que «la démocratie» prend forme en Irak?
Les élections législatives de 2010 ont été cruciales pour le développement politique et la réconciliation dans le pays. La campagne et le processus de vote ont connus des irrégularités mineures. Le taux de participation de 62 pour cent est une preuve positive. Pour résumer, des pas importants vers la démocratie ont été effectués. Nous devons rappeler que des élections libres et équitables ne font pas un état démocratique. Ces exercices électoraux doivent être suivis par une administration publique efficace et légitime qui respecterait la volonté des électeurs. Je suis plus optimiste maintenant qu’avant les élections.
Iyad Allawi semble être le plus grand gagnant, au moins sur le plan politique. Pourtant, vous pensez que ses chances de former le prochain gouvernement ne sont pas très grandes, pourquoi ?
Même si Allaoui obtient le plus grand nombre de voix, le système irakien ne garantit pas qu’il puisse former un gouvernement viable. Comme nous le savons, il a fallu plusieurs mois pour que le vainqueur précédent organise une coalition gouvernementale. Ces mois d’intérim avait facilité la renaissance de la violence et de la division.
À présent, malgré le fait que la Haute commission électorale indépendante d’Irak et les observateurs internationaux ont jugé les élections libres et régulières, le Président Talibani et le Premier ministre Maliki appellent à un recomptage des bulletins de vote et à enquêter sur des allégations de fraude. Si, comme je le pense, ces allégations se révèlent infondées ou d’une importance mineure, alors vont-ils tous les deux valider les résultats des élections ? Je suis raisonnablement confiant qu’ils finiront par soutenir un gouvernement dirigé par M. Allawi après avoir reçu d’importantes concessions et suite aux pressions des parties intérieures ou extérieures. Néanmoins, la plupart des politiciens irakiens croient que Allawi est trop endommagé pour récupérer la direction.
À la lumière du résultat des élections, pensez-vous que l’Irak pourrait faire face à l’influence de l’Iran après le retrait des troupes US ?
Je pense que l’Iran est en train de peser les conséquences d’éventuelles violences en Irak. De tels violences contribueraient à retarder le retrait des troupes US et pourraient inciter la Syrie, l’Arabie Saoudite et la Turquie à apporter un soutien plus tangible pour les Sunnites et les Chiites laïques. L’influence globale de l’Iran en Irak ne sera pas radicalement diminué avec un gouvernement dirigé par M. Allawi. Quel que soit le résultat final, la marge de victoire serait telle que les dirigeants chiites assumeraient des postes ministériels dans tout nouveau gouvernement. À la suite de la réduction des effectifs militaires US, Téhéran gardera un statut considérable du point de vue de la sécurité. D’autre part, il est déjà le premier partenaire commercial d’Irak.
La délégation du Parlement Européen a condamné ce qu’il a appelé la « fraude » et la « tricherie ». Pouvez-vous donner votre avis ?
Certains membres du Parlement Européen ont cité des exemples de fraudes électorales. Tout aussi alarmant, c’est que tous les grands partis ont tenté d’influencer les électeurs par le biais de cadeaux – les pots-de-vin comme on pourrait l’interpréter. La commission électorale indépendante a également déclaré qu’elle enquêtait sur environ 2000 plaintes déposées par des entités politiques, c’est moins que le nombre déposé pour les élections provinciales l’an dernier.
Les autres observateurs internationaux, l’Organisation des Nations Unies, et la Commission électorale indépendante iraquienne disent qu’il n’y a aucun signe de fraudes à grande échelle ou de manipulation des votes qui feraient en sorte de délégitimer les résultats. Il est difficile d’imaginer comment l’un des partis pourrait pervertir les garanties électorales extrêmement robustes. Cela dit, ces rapports devraient être scrupuleusement étudiés. À moins que de nouvelles informations viennent à apparaître, ces résultats devraient être annoncés et un nouveau gouvernement devra être formé pas le gagnant.
James Prince a servi en tant qu’observateur électoral international pour les élections en Irak. Il est président du Democracy Council, une ONG internationale basée aux US.
Traduit par Sérine Akar (serine.akar@gmail.com)