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Politiquement, l’élite maronite-sunnite de l’avant-guerre a quasiment disparu de la scène après 1990. À l’exception d’Amine Gemayel, ancien de Jamhour, aucun président n’a été un véritable et fier francophone, et encore moins les premiers ministres comme Hariri, père et fils, qui, bien qu’ils se targuassent de leurs liens politiques avec la France, parlaient un français déplorable ! Quant aux élites chiites, qui fréquentaient auparavant les écoles francophones, elles ont été écartées du pouvoir par Amal et le Hezbollah, qui, au mieux, s’exprimaient en arabe, en syrien ou en persan.
Sur le plan éducatif, bien que le français demeure omniprésent dans l’enseignement primaire et secondaire, les universités sont majoritairement anglophones (AUB, LAU, Balamand), à l’exception peut-être de l’USJ et de l’USEK, qui sont peu compétitives. L’anglais, cependant, est beaucoup plus prisé, car il est un impératif pour travailler dans le Golfe, où les professions telles que celles d’avocat, d’ingénieur, de médecin ou de contremaître n’exigent pas la maîtrise du français. Quant aux étudiants qui choisissent de partir à l’étranger, la France demeure une destination privilégiée pour ceux qui recherchent une formation en littérature, en art, en philosophie ou en histoire, mais aussi pour ceux qui aspirent à une éducation moins onéreuse. Les autres s’orientent vers les universités américaines et britanniques, car les perspectives internationales qu’elles offrent sont bien plus vastes que celles de n’importe quelle institution française, dont les anciens élèves se limitent à la France, à l’Afrique francophone, et éventuellement au Canada et au Maghreb.
Sur le plan social, la France a historiquement été plus proche des chrétiens, qui ont voué une grande admiration à ce pays et à ses dirigeants (de Saint Louis à De Gaulle, en passant par Napoléon), et qui ont adopté sa langue comme quasi-première. Après la guerre civile, la France a, sur le plan politique, substitué les maronites – son groupe protégé – par les sunnites, car le pouvoir s’était déplacé vers cette dernière communauté suite aux accords de Taëf. Traditionnellement, les sunnites ne fréquentaient pas le lycée français, institution laïque, et même lorsque l’alliance entre Chirac et Hariri était à son apogée, la barrière sociale restait élevée. Les sunnites continuent de fréquenter, pour leur part, l’IC comme école et l’AUB comme université.
Après 2006, la France a une nouvelle fois basculé, politiquement, des sunnites vers les chiites, car le pouvoir était désormais aux mains de cette communauté, protégée par l’Iran. Cette dernière, à l’exception de ceux ayant vécu et travaillé en Afrique, reste majoritairement pauvre et analphabète, et ses membres les plus instruits maîtrisent avant tout l’anglais.
Ainsi, la décision politique de la France de soutenir tour à tour une communauté plutôt qu’une autre au fil des siècles a joué un rôle prépondérant dans le déclin de la langue française. Ni Hariri ni le Hezbollah n’ont su tirer parti de la culture française ni de sa langue, et encore moins se sont-ils convertis en fervents francophones.
Pendant ce temps, l’Église maronite continue, année après année, d’organiser une messe solennelle au nom de la France, un geste certes symbolique, mais aujourd’hui inutile.
L’inéluctable déclin de la langue française au Liban
Les zigzags de la politique française me semblent moins importants que le phénomène général suivant : le français pâtit d’être une langue de culture, donc d’élite, et disparaît quand les élites changent, par exemple à l’occasion de la mise en place des régimes communistes (Russie, Vietnam et bien d’autres). Une autre raison est que l’économie et les affaires ont pris plus de place dans la vie des élites que la culture. Reste à espérer que quand tout le monde parlera anglais le snobisme sera de parler français !
Dans le monde entier français a pâti d’être une langue de culture. Elle a donc été éliminée avec les élites traditionnelles, et avec le poids que l’économie et les affaires ont pris dans la vie de chacun. Quand tout le monde parlera anglais, une partie des élites parlera français pour se distinguer… du moins si la culture reste quelque chose d’important