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Même après avoir signé un cessez-le-feu, Israël est loin d’en avoir fini avec son ennemi, le Hamas. « Certains Israéliens ont été surpris de voir des centaines de militants du Hamas armés et en uniforme transférer leurs otages à la CroixRouge », confie Gershon Baskin, un expert israélien, qui connaît bien la formation intégriste palestinienne.
Le mouvement responsable de l’attaque terroriste du 7 octobre 2023, qui a tué plus de 1 200 Israéliens, en majorité des civils, n’a pas été éradiqué par quinze mois de guerre face à Tsahal. La dissimulation et un maintien du recrutement ont été les deux piliers de la stratégie de survie du Hamas à travers la bande de Gaza, ravagée par les bombardements israéliens qui ont causé la mort de plus de 40 000 Palestiniens.
« En septembre, l’ordre de se cacher a été donné par le chef Yahya Sinwar à plusieurs centaines de cadres de la branche militaire et de ne ressortir que lorsqu’un cessez-le-feu aura été conclu avec Israël », affirme au Figaro une source palestinienne non-membre du Hamas en contact régulier avec le parti, classé terroriste par les États-Unis et l’Union européenne. « Ce sont eux que l’on a vus dimanche encadrer la sortie des otages israéliens », ajoute-t-elle.
Mercredi déjà, sitôt la trêve annoncée, de premiers combattants, semblant surgir de nulle part, étaient apparus sur les réseaux sociaux. Vendredi, d’autres ont organisé un défilé militaire à Rafah, dans le Sud frontalier de l’Égypte. « Je ne suis pas surpris par cette démonstration de force », déclare Gershon Baskin, qui a participé à des échanges avec de hauts responsables du Hamas pour parvenir au cessez-le-feu.
En ordonnant à de nombreux cadres militaires de se cacher, Sinwar a d’abord voulu préserver ses forces combattantes. En février, dans des échanges de courriels avec les négociateurs du cessez-le-feu, le chef du Hamas assurait que son organisation pouvait « tenir encore huit mois », c’est-à-dire jusqu’à l’automne. Mais au-delà, Yahya Sinwar et son frère Mohammed, qui lui a succédé après sa liquidation en octobre par Israël, pensaient déjà à l’aprèsguerre. « Ils veulent que leurs hommes tiennent le terrain au départ des soldats israéliens, décrypte la source palestinienne précitée. On voit déjà certaines de leurs équipes déployées pour évaluer les besoins de reconstruction » alors que 70 % des bâtiments, selon l’ONU, ont été détruits ou sérieusement endommagés.
Mais à travers ces manœuvres, « le Hamas ne cherche pas à continuer de contrôler la bande de Gaza, ses dirigeants savent que c’est impossible, les Palestiniens eux-mêmes ne le voudraient pas, mais ils tiennent à garder un rôle politique dans la gouvernance de l’après-guerre », poursuit l’expert palestinien. Un bras de fer va rapidement s’engager avec l’Autorité palestinienne, bien décidée à administrer – seule, sans le Hamas – l’enclave autonome, fort du soutien des États-Unis et des Européens, notamment.
L’autre pilier de sa survie a été la campagne de recrutement que le Hamas a menée, exploitant le malheur de nombreuses familles auxquelles de l’argent a été proposé. « Le Hamas a visé les adolescents dont les parents ont été tués par des frappes israéliennes, il leur donnait 50 shekels par jour », détaille notre source, qui a dû intervenir dans sa propre maisonnée pour empêcher un tel recrutement. « Mon cousin de 17 ans a été approché. Son père et sa mère ont été tués, il restait trois filles et un autre garçon. Ils ont essayé de le récupérer, j’ai réussi à l’en dissuader, mais combien d’autres ont accepté. Ces orphelins cherchent à se venger. Israël a créé une nouvelle armée de jeunes en colère. » Ce recrutement massif a permis au Hamas de préserver ses cadres souvent cachés, en envoyant une piétaille de jeunes au combat.
Les services de renseignements américains avaient remarqué cette manœuvre, comme l’a affirmé la semaine dernière Antony Blinken, le secrétaire d’État : « Nous estimons que le Hamas a recruté presque autant de nouveaux militants qu’il en a perdus (…). Chaque fois qu’Israël achève ses opérations militaires et se retire, les militants du Hamas se reconstituent et réapparaissent parce qu’il n’y a rien d’autre pour combler le vide. » Pour Antony Blinken, le refus israélien d’envisager une solution politique au conflit israélo-palestinien « est la recette d’une insurrection résistante et d’une guerre perpétuelle ».
Pour la mener, le Hamas s’est constitué « une réserve cachée » dans laquelle il a pu puiser au fil des mois. Un diplomate palestinien opposé au Hamas n’est pas surpris : « La formation d’une armée secrète correspond au logiciel des Frères musulmans, la matrice du Hamas. On l’a vu à travers l’histoire de la branche égyptienne qui y recourut pour survivre, avant de prendre le pouvoir. »« Dans leur façon de fonctionner, renchérit l’expert palestinien précité, il y a la dissimulation, c’est-à-dire montrer ce qu’on ne pense pas. Je me souviens de ce directeur de cabinet d’un ministre de l’Autorité palestinienne à Ramallah qui buvait avec nous de la bière, alors qu’il s’est avéré être un des principaux dirigeants de la branche militaire du Hamas en Cisjordanie. »
Dans la bande de Gaza, même si ses rangs intermédiaires ont survécu et la piétaille a été reconstituée, le mouvement sort considérablement affaibli de la guerre. « L’immense majorité de ses hauts commandants ont été tués, je n’en connais qu’un à avoir survécu, affirme notre source. Beaucoup de leurs tunnels sont endommagés ou détruits, et leurs réserves de roquettes ont fondu. » Israël estime à environ 20 000 le nombre de ses pertes militaires. Selon ce bon connaisseur de l’enclave palestinienne, « le Hamas n’a pas intérêt à poursuivre la guerre. Il ne veut pas être en première ligne du nouveau pouvoir à Gaza, mais il veut peser sur les décisions et que ses 40 000 administrateurs et militaires soient pris en charge par la future gouvernance. Ce que l’Autorité palestinienne ne veut pas, à un tel niveau en tout cas ».
C’est pour cette raison, peut-être, que des informations non confirmées circulent sur le départ accepté par Israël vers l’étranger de plusieurs milliers de membres du Hamas blessés, et de trois membres de leur famille. Officiellement, pour se faire soigner, mais sans visa de retour, très vraisemblablement.