De Bruxelles, le président de la Chambre, Nabih Berry, a souligné la semaine dernière la nécessité de préserver les filets de sécurité suivants, qui sont, pour lui, une digue qui empêche le tsunami de violence de gagner à son tour le Liban : le cabinet Salam, la table de dialogue national, ainsi que les pourparlers entre le courant du Futur et le Hezbollah. Cet appel intervient à l’heure où le Hezbollah est la cible d’une campagne régionale et internationale qui vise à assécher ses sources de revenus illégales et à modérer ses ardeurs afin qu’il cesse ses ingérences, notamment militaires, dans les affaires intérieures d’autres pays.
À l’ombre des développements régionaux, Nabih Berry reste attaché au dialogue et à la stabilité, surtout après les sanctions des pays du Golfe contre le Liban en réponse à la campagne hostile du Hezbollah contre l’Arabie saoudite. Aussi a-t-il dépêché aux États-Unis une délégation parlementaire pour expliquer la position du Liban et mettre l’accent sur la coopération entre les deux pays aux deux plans économique et militaire, surtout après les sanctions prises à l’unanimité par le Congrès US contre les sociétés et les personnes situées à l’étranger qui sont dans l’entourage du parti chiite. Les responsables américains ont été clairs : ces mesures ne visent pas le hinterland libanais ou les banques. « Si seulement les autorités politiques coopéraient comme les banques… » n’a d’ailleurs pas manqué de préciser un responsable au Trésor US, rendant par là même un hommage au secteur bancaire et au gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé.
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Nabih Berry réclame également la formation d’une délégation parlementaire qui réunirait toutes les composantes politiques et se rendrait en Arabie saoudite et dans les pays du Golfe pour exposer la position du Liban et demander aux responsables de réviser leur décision, notamment en ce qui concerne la suspension du don à l’armée et aux forces de sécurité. La troupe ne saurait faire les frais d’une querelle politique, mais devrait au contraire en être tenue à l’écart, spécialement dans le cadre de sa lutte actuelle contre le terrorisme aux frontières.
Pour le président de la Chambre, l’effondrement de l’un des trois filets de sécurité précités entraînerait aussitôt la chute des deux autres et, avec, de la stabilité, le Liban plongeant alors dans les flammes de la discorde sectaire. Or jusqu’à preuve du contraire, nul ne souhaite l’apocalypse. L’incident du samedi soir – les protestations de partisans du Hezbollah dans la rue contre un sketch satirique diffusé par la MBC – a été rapidement circonscrit par l’armée, en dépit des slogans et des provocations sectaires des manifestants. Les réseaux sociaux, qui cristallisent désormais des haines ancestrales ressurgies du fond de la mémoire, se sont enflammés, les internautes réclamant la partition, en raison de l’impossibilité de vivre avec « l’autre », au-dessus de la loi, intouchable. Depuis samedi, les rumeurs vont bon train concernant la possibilité d’un nouveau coup de force des « blousons noirs » du Hezbollah dans la rue, à l’heure où la rue sunnite a atteint un degré avancé dans son ras-le-bol face aux pratiques hégémoniques du parti pro-iranien. Samedi, les partisans du Hezbollah s’étaient d’ailleurs rassemblés devant l’ambassade d’Arabie pour lancer des slogans insultants à l’égard des responsables saoudiens et de symboles religieux sunnites. Pour l’heure, le volcan ne s’est pas réveillé, mais beaucoup est fait pour sortir les vieux démons communautaires de leur sommeil profond.
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Si Nabih Berry craint tellement pour la stabilité, c’est qu’il entend empêcher que le Liban ne serve de boîte aux lettres dans le cadre du bras de fer régional et international actuel, notamment après le gel des hostilités en Syrie, qui doit ouvrir la voie, en principe, à une solution parrainée par Washington et Moscou.
La rencontre, hier soir, entre Nabih Berry et Saad Hariri ainsi que la scène place de l’Étoile devraient définir la nature de l’étape qui commence. Les actes visant à « contenir » le Hezbollah (les sanctions US, la plainte déposée au Yémen contre le parti chiite, les mesures des pays du Golfe, sans compter d’autres actions qui pourraient être entreprises par ces derniers au Conseil de sécurité, ainsi que les retombées que pourrait avoir la victoire des réformateurs en Iran sur le Hezb) se multiplient, à l’heure où les combattants chiites pourraient être contraints de regagner le Liban, après le cessez-le-feu négocié par la Russie et les États-Unis sans se concerter avec l’Iran. Mais ils rentreraient bredouilles, dans la mesure où Bachar el-Assad n’aurait pas de rôle à jouer dans la prochaine étape.
C’est pourquoi le président de la Chambre est tellement attaché au dialogue national et bilatéral avec le courant du Futur. Selon lui, il convient de décrisper la tension chiito-sunnite et irano-arabe, à partir de Beyrouth, d’autant que nombre d’experts s’accordent à dire que l’Iran de demain, qui ne sera plus celle des radicaux et des pasdaran, doit impérativement trouver des solutions régionales avec le monde arabe, sous le parrainage notamment de la France et des États-Unis. Dans ce cadre, l’adjoint du chef de la diplomatie iranienne, Hussein Amir Abdellahiane, aurait entrepris des concertations durant le week-end à Paris avant les pourparlers que le directeur de la section Proche-Orient-Afrique au Quai d’Orsay, Gérard Bonnafond, doit entreprendre à Téhéran et à Riyad pour mener à bien l’échéance présidentielle.
Face à cette gamme de développements, que fera le Hezbollah ? Quoi qu’il en soit, la première victime d’un tour de vis supplémentaire de sa part, doublé peut-être d’une manifestation de force sur le terrain, serait sans aucun doute l’initiative Berry.