L’intermédiaire des grands contrats, à la base de la mise en examen de proches du Président, s’explique à «Libération».
PAR ÉRIC DECOUTY
Ziad Takieddine est au cœur de l’affaire judiciaire la plus délicate pour Nicolas Sarkozy. Deux proches du chef de l’Etat, Nicolas Bazire et Thierry Gaubert, ont d’ailleurs été mis en examen, la semaine dernière, pour leurs relations supposées avec cet intermédiaire. Et Brice Hortefeux a dû s’expliquer, vendredi, devant la police judiciaire sur sa connaissance précise d’un dossier pourtant couvert par le secret de l’instruction. D’autres personnalités de droite, François Léotard, Renaud Donnedieu de Vabres et bien sûr Edouard Balladur, attendent leur tour pour venir s’expliquer dans le cabinet du juge Renaud Van Ruymbeke.
L’enjeu est de taille. Il consiste pour le magistrat à démontrer que la campagne présidentielle d’Edouard Balladur en 1995 a été financée illégalement par des rétrocommissions dégagées sur des contrats internationaux. Et l’histoire est d’autant plus délicate qu’à l’époque, non seulement Nicolas Sarkozy était un proche de Balladur, mais surtout il était au ministère du Budget, là où sont enregistrées les commissions avant d’être couvertes par le secret-défense.
Flux. Dans ce tableau, Ziad Takieddine, qui a été mis en examen une seconde fois pour «faux témoignage», est soupçonné d’être l’homme par qui les flux douteux ont transité en Arabie Saoudite et au Pakistan… Jusque-là, il s’en défendait discrètement. Mais devant les développements de l’affaire, il a choisi une autre stratégie : la prise de parole dans les médias. Depuis plusieurs semaines, Libération essayait de recueillir son témoignage. Il a fini par accepter, comme il a accepté de répondre aux questions de BFM TV jeudi soir.
Durant plusieurs jours, nous nous sommes donc rencontrés chez lui. Nous lui avons posé toutes les questions, souvent avec insistance. Ziad Takieddine n’a évidemment pas avoué avoir versé de rétrocommissions ni financé la campagne d’Edouard Balladur. Ses explications correspondent à «sa» vérité, qui n’est pas, aujourd’hui, celle de la justice. Loin de là. Pour autant, le témoignage de l’intermédiaire a au moins trois autres intérêts.
Il atteste une fois de plus de la guerre terrible que se sont livrée à travers les grands contrats internationaux chiraquiens et balladuriens. Un combat sans merci dont on entrevoit ici des coulisses peu attrayantes sur fond de valises de billets. Un affrontement qui semble d’ailleurs sans fin, car au moment où Edouard Balladur et ses hommes sont visés, Ziad Takieddine n’hésite pas à accuser Dominique de Villepin d’avoir empoché des commissions sur ces mêmes contrats.
Message. Les propos de Ziad Takieddine montrent également la fragilité dans laquelle semble se trouver Claude Guéant. L’intermédiaire n’hésite pas à le mettre directement en cause pour certains de ses propos comme s’il menaçait d’en dire beaucoup plus sur leurs anciennes relations.
Enfin, et ce n’est peut-être pas le moindre enseignement, Takieddine se permet d’interpeller directement Nicolas Sarkozy pour lui demander de se «débarrasser d’une équipe qui peut lui nuire». Il parle de proches, qu’il refuse de nommer mais que le chef de l’Etat n’aura guère de peine à identifier.
Sur les trois principaux dossiers (lire pages suivantes), Takieddine ne parle pas au hasard, ni gratuitement. Il en sait évidemment beaucoup plus que ce qu’il nous déclare. Aujourd’hui, il se défend, et il envoie en même temps un message. Il peut en dire plus, beaucoup plus…