La journée du 14 mars 2005 n’a pas fini de faire parler d’elle aux yeux des libanais.
L’opinion publique a mis du temps pour réaliser que l’esprit même de ce mouvement, annonciateur de celui du 17 octobre 2019, avait été détourné au profit d’une caste politique traditionnelle, clanique et grégaire, et de ses compromissions sordides visant à se partager le butin du pouvoir conquis ou à conquérir. D’année en année, le titre 14-Mars était devenu synonyme d’un simple slogan partisan et n’exprimait plus la quintessence de l’aspiration à une identité nationale citoyenne digne d’un pays que le monde entier admirait jadis, devenu aujourd’hui un paria au milieu des nations à cause de sa caste dirigeante, criminelle et mafieuse.
Des faits, à la gravité variable, illustrent cette descente aux enfers.
Passons sur le déficit de l’électricité inexistante au Liban mais qui a coûté plus de 40 milliards de dollars, alors que la Chine a pu fournir le courant à toute sa population pour beaucoup moins que cela.
Rappelons l’explosion apocalyptique du 4 août 2020 au port de Beyrouth, véritable crime d’État dont la responsabilité incombe à l’appareil étatique depuis le sommet de la pyramide, le chef de l’État malheureusement couvert par l’immunité pénale. N’oublions pas que le secteur Électricité du Liban est la chasse gardée du CPL, parti présidé par Monsieur Gebran Bassil, gendre du président Aoun et objet de sanctions américaines sévères.
Dimanche dernier, 14 mars 2021, le président du CPL délivra une longue conférence dont on retiendra trois points principaux.
L’insistance de l’intéressé à se présenter comme incarnant le « véritable 14 mars » ; sa proclamation d’adhésion au « tahyid » ou « neutralisation » du Liban ; sans oublier sa profession de foi dans une identité problématique qu’il appelle « machriqiyya » ou « levantinisme ».
L’écoutant, on ne pouvait pas ne pas évoquer le reptile appelé caméléon qui a la capacité extraordinaire de changer de couleur en fonction de l’environnement, tout en demeurant lui-même. Nul ne peut s’attendre à ce qu’une poule en chocolat ponde des œufs, l’objet demeure du chocolat. Monsieur Bassil a un talent exceptionnel de caméléon dont les métamorphoses étaient jadis imputées, par Théophraste, au fait que ses poumons emplissaient tout son corps et le gonflaient démesurément avec de l’air.
Actuellement on pense que ce phénomène est motivé par les besoins de communication et de camouflage de cette créature. Le moins qu’on puisse dire c’est que l’ego surdimensionné de Monsieur Bassil joue un rôle semblable au caméléon de Théophraste, ce qui lui permet de communiquer en se camouflant maladroitement.
Quel est ce 14 mars qu’il affirme incarner ? Est-ce celui, lumineux, de 2005 qui vit le peuple libanais chasser ses amis syriens du Liban, ou serait-ce le funeste 14 mars 1989 où son beau-père inaugura les guerres destructrices dont le Liban ne s’est pas encore relevé ?
En parlant de « tahyid » du Liban, certains ont pensé que G. Bassil appuie la proposition du patriarche maronite réclamant la neutralité (ou « hiyad ») du pays. Il n’en est rien. « Tahyid » se traduit par « non-alignement », ce qui rappelle le camp des non-alignés durant la guerre froide, tous amis et/ou alliés de l’ex-URSS. Fidel Castro y siégeait aux côtés de Tito, Nasser, Nehru, Suharto etc. Le non-alignement est une simple position politique tactique alors que la neutralité est un choix stratégique reconnu et respecté. Monsieur Bassil est invité à revoir sa copie.
Reste la fameuse identité « machriqiyya » ou « levantinisme ». Ce n’est pas une identité nationale libanaise. Elle pourrait rappeler l’idéologie d’Antoun Saadé et de son « Parti Syrien National Social » qui fait de l’identité « pan-syrianiste » un paramètre racial et non culturel. Monsieur Bassil lui-même a souvent disserté, en défigurant la génétique des populations, sur des gènes phéniciens supposés conférer à leurs porteurs, non-arabes, un génie particulier dont celui de gérer un État sans politique budgétaire.
Le sens ultime de la prestation de G. Bassil est limpide. Il s’agit, encore et toujours, de l’Alliance des Minorités au sein d’un Levant regroupant des identités confessionnelles partageant l’inimitié anti-arabe de la Perse (Alaouites, Chiites, Chrétiens, Druzes etc.) au sein d’une entité qui n’a rien à voir avec le Liban de 1920 mais avec un « Méga-Liban » ou une « Syrie-Utile » dominés par l’Iran des Pasdaran.
Le discours de Monsieur Bassil s’adressait sans doute au Hezbollah : « Je demeure votre homme et votre meilleure couverture pour la réalisation de votre projet au Levant ».
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*Beyrouth