Que de bruit pour un feuilleton télévisé ! « Le Messie », superproduction iranienne que deux chaînes de télévision, reconnues comme « chiites », avaient programmée au début du Ramadan puis retirée de l’antenne, continue de susciter un important débat de nature exclusivement religieuse. Cette production en 17 épisodes s’inspire largement du texte de l’évangile dit de Barnabé. Ce dernier n’est même pas un apocryphe mais un faux historique, de fabrication occidentale tardive (XVI° ou XVII° siècles), issu probablement de milieux crypto-juifs ou crypto-musulmans convertis sous la pression de l’Inquisition. Telle serait l’explication sur l’origine de ce texte, découvert en 1709, qui porte le même titre qu’un apocryphe disparu de l’antiquité tardive : évangile de Barnabé. Nul n’a attendu ce faux évangile et encore moins le feuilleton iranien, pour savoir que la pomme de discorde entre le Christianisme et l’Islam porte sur deux points dogmatiques fondamentaux : la divinité de Jésus-Christ, vrai Dieu incarné mort et ressuscité, que les musulmans n’admettent pas ; et le caractère prophétique de Muhammad comme envoyé de Dieu que les chrétiens ne lui reconnaissent pas.
La polémique, née autour de ce feuilleton, ne provient donc pas de la proclamation d’une vérité coranique multiséculaire, la non-divinité de Jésus. Chacun est libre, après tout, de croire en ce qu’il veut. Chacun est libre d’annoncer et de répandre ses idées par tous les moyens disponibles proclame la Déclaration des Droits de l’Homme à l’article 19. Mais le malaise suscité par ce feuilleton est révélateur de paramètres culturels dont on n’ose pas débattre :
– Les limites et les ambigüités du dialogue interreligieux, notamment islamo-chrétien.
– La méconnaissance de la culture iranienne, de sa profonde et particulière religiosité, ainsi que de son syncrétisme structurel.
Le dialogue interreligieux et ses ambigüités
Dans ce domaine, il y a pléthore pourrait-on dire. On ne compte plus les colloques, les séminaires, les conférences organisés sur ce thème. Tous ces événements sont d’une grande qualité académique mais sont-ils réellement à la portée du grand public ? Apportent-ils une plus-value à l’unité politique ? La plupart de ces activités occultent les différences pour se focaliser sur quelques points communs. Les échanges se situent essentiellement sur le registre théologique souvent spécialisé. Tout le monde sait que la personne de Marie, mère de Dieu pour les uns et mère d’un prophète pour les autres, est tenue en haute estime par le Coran. Tout le monde sait que l’Islam, le Christianisme et le Judaïsme forment la grande famille du monothéisme abrahamique. Mais cela suffit-il pour créer une dynamique commune du « vivre-ensemble » ? L’harmonie religieuse est-elle le fondement de l’unité politique ? Les réactions autour du film iranien « Le Messie » montrent clairement que l’enjeu du dialogue islamo-chrétien n’est pas de nature théologique mais politique. Comment construire ensemble un espace public commun où nul ne se sentirait lésé dans sa spécificité et où la liberté de tout un chacun serait respectée, garantie et protégée ? Un tel espace public, non marqué par une loi religieuse, est il envisageable dans cette partie du monde ?
L’âme iranienne et le projet impérial
Henry Corbin écrit que l’Iran «n’est pas seulement une nation, ni un empire, c’est tout un univers spirituel, un foyer d’histoire des religions ». La Révolution Islamique de 1979 lui paraît si étrange qu’il la considère comme une explosion de l’inconscient collectif de la religiosité d’un peuple, ou le retour du refoulé de son âme. Ce défoulement prodigieux révéla, en quelque sorte, toutes les couches stratifiées de cette culture marquée par un syncrétisme structurel: dualisme, charisme prophétique, apocalyptique, messianisme, tous d’origine préislamique. Viennent s’ajouter l’imagerie du chiisme duodécimain, mais aussi le libéralisme de la modernité et l’utopie révolutionnaire du marxisme. La révolution iranienne ne fut pas, comme on le croit superficiellement, le mouvement d’un peuple manipulé et fanatisé par un clergé. Elle aurait été d’abord le point de convergence d’une dynamique psychique collective qui se serait exprimée politiquement. La révolution iranienne aurait d’abord eu lieu dans le « monde imaginal » dont parle Corbin, ses expressions politiques ne sont que la manifestation exotérique de cet univers fascinant par sa richesse symbolique.
Dès 1977, Moayyed Chirazi mettait en garde ses coreligionnaires iraniens contre un gauchisme radical « ultra-chiite » qui dénaturerait l’ouverture caractéristique du chiisme duodécimain. Sur le plan doctrinal, cet ultra- gauchisme aurait pour conséquence un retour au légalisme le plus rigide et à l’obéissance institutionnelle aveugle. Sur le plan politique, cette même ouverture vers tous les possibles, se changerait en fermeture et en terreur violente.
Ainsi, la question politique et la question psycho-religieuse seraient intimement liées. D’où la question fondamentale qui se pose à l’occasion du film iranien « Le Messie » : ce paramètre syncrétiste, formerait-il le cadre d’une stratégie d’expansion culturelle qui viendrait se juxtaposer à d’autres stratégies économiques ou militaires ? L’utopie révolutionnaire iranienne aurait-elle pour ambition idéologique, de prôner une pan-religiosité universelle non-sécularisée et cherchant à rapprocher des symboles religieux traditionnels sous la bannière de la Révolution Islamique ?
Telles sont les deux questions qui méritent de faire l’objet d’échanges du dialogue islamo-chrétien : Comment construire un espace public commun du « vivre-ensemble »? Comment protéger ce qui nous différencie sans tomber dans le syncrétisme ?
Publié dans L’Orient-Le Jour, samedi 04/09/2010, in «Echos de l’Agora », p.5
Religiosité et hégémonie d’empire
سوري
Il est impossible de connaître la vérité du Christ de l’Évangile, mais doit aussi reconnaître que l’Evangile de Barnabas était l’écrivain Christian Islam retenu, érudits musulmans almtbharin bonne Christian