Bachar al-Assad a développé la production industrielle de cette amphétamine en Syrie, afin de contourner les sanctions internationales et de consolider ses réseaux d’allégeance.
Crimes contre l’humanité, crimes de guerre, massacres organisés, viols systématiques, campagnes de disparitions forcées, expulsion de populations entières, la liste est longue des crimes déjà imputés à Bachar al-Assad. Convaincu de son impunité, le dictateur syrien y a désormais ajouté le délit de production massive et de commercialisation agressive de stupéfiants. Le territoire syrien sous contrôle du régime Assad est en effet devenu la principale zone de production de captagon, une amphétamine dont l’Arabie saoudite constitue le premier marché mondial. Ce sont ensuite les réseaux affiliés au régime Assad qui, surtout à partir du Liban, se chargent d’acheminer les cargaisons de cette drogue vers la Péninsule arabique.
LES « DEUX CROISSANTS »
Lorsque Hafez al-Assad envoie son armée occuper une bonne partie du Liban, en 1976, il ne tarde pas à prélever sa dîme sur le haschich déjà florissant dans la plaine libanaise de la Békaa, puis il y encourage le développement de la culture du pavot. Des laboratoires de transformation en héroïne de l’opium ainsi produit localement sont installés sous le contrôle de l’armée syrienne d’occupation. Les barons du régime Assad qui gèrent ce trafic avec grand profit recrutent à cet effet en Syrie des bandes de gangsters, surnommés chabbiha, les « fantômes ». Le général Ali Douba, patron des renseignements militaires, est à la tête de ce cartel de fait, avant d’être marginalisé par Bachar al-Assad, qui succède à son père Hafez, en 2000, comme maître absolu de la Syrie. Le retrait du contingent syrien du Liban, en 2005, sous la pression populaire, achève de refermer ce premier cycle mafieux de la dictature syrienne.
Un second cycle s’est ouvert depuis quelques années, cette fois sur le territoire syrien sous contrôle du régime Assad. L’offre s’est en ce cas ajustée à la demande très forte de captagon en Arabie saoudite, où la popularité de cette amphétamine ne se dément pas. Ce dopant de synthèse, initialement à base de fénétylline, est désigné sous le terme de « Père des deux Croissants » (Abou al-hilâlayn), du fait des deux C croisés qui en constituent la marque de fabrique. La descente aux enfers miliciens de la Syrie s’est accompagnée de la floraison d’ateliers de fabrication locale de captagon, d’abord pour fournir les combattants en stimulants artificiels, puis pour assurer une ressource en devises aux forces locales. C’est dans ce cadre que les jihadistes de Daech ont développé leur propre manufacture de captagon, diffusé en contrebande soit vers la Turquie, soit vers les zones pro-Assad. Mais la reconquête territoriale du régime Assad, avec l’aide majeure de l’aviation russe et, au sol, des milices pro-iraniennes, le pose aujourd’hui en leader incontesté du captagon à l’échelle régionale.
MAHER AL-ASSAD AUX COMMANDES
Les sanctions internationales qui frappent le régime Assad l’ont poussé à une politique volontariste de production et de commercialisation du captagon. La responsabilité opérationnelle en revient au frère cadet du président, le général Maher al-Assad, chef de la Quatrième division, la garde prétorienne du régime, déjà impliquée dans de très nombreuses tueries et exactions. Les ateliers de production de captagon sont protégés par des soldats syriens en uniforme, voire installés en zone militaire à l’accès restreint. Le maillage serré de barrages de la Quatrième division sur l’ensemble du territoire sous contrôle du régime Assad y permet la circulation fluide des cargaisons d’amphétamine. Une enquête publiée le mois dernier par le « New York Times » désigne deux profiteurs de guerre notoires comme étant les principaux relais « civils » d’un tel trafic: l’un, Amer Khiti, a été récompensé de ses loyaux services par un siège de député lors des « élections » législatives de juillet 2020; l’autre, Khodr Taher, a, dans le même esprit, été décoré par le président Assad de l’ordre du Mérite.
Cette reconversion mafieuse a permis à Bachar al-Assad, solidement soutenu par son frère Maher, de gérer les tensions qui ont récemment secoué le cercle dirigeant, avec les ambitions affichées par la « première dame », Asma al-Assad, et la fronde inédite d’Ibrahim Makhlouf, cousin du chef de l’Etat. Les liens déjà intimes entre la dictature syrienne et le Hezbollah libanais ont encore été renforcés par la nécessité d’exporter à partir du Liban le captagon destiné à l’Arabie saoudite. Celle-ci, excédée par le nombre croissant de saisies d’amphétamine, camouflée dans des fruits et légumes en provenance du Liban, a décidé, en avril dernier, un embargo sur les importations agricoles de ce pays. Le régime syrien s’est alors rabattu sur la frontière jordanienne qui, dès sa réouverture en août 2021, a été le théâtre de tentatives d’infiltration de chargements majeurs de captagon. Un drone chargé d’amphétamines a même été abattu à sa sortie de l’espace syrien. Et, dimanche dernier, un officier jordanien a été tué dans un accrochage avec des trafiquants syriens. Les autorités jordaniennes estiment qu’un cinquième de la drogue destinée à l’Arabie saoudite pourrait être consommé en Jordanie au cours du transit, une perspective catastrophique pour un pays jusque là épargné par les stupéfiants.
Il en faudrait évidemment plus pour dissuader le régime Assad de poursuivre, voire d’intensifier un aussi juteux trafic. Le despote syrien peut en tout cas se vanter d’avoir transformé son pays en premier narco-Etat digne de ce nom au Proche-Orient.