Poutine veut faire plier l’Otan et l’Europe

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En maintenant la pression militaire sur l’Ukraine, le maître du Kremlin rêve de ressusciter l’empire soviétique.

 

 

GÉOPOLITIQUE                        Pour Vladimir Poutine, l’histoire ne passe décidément pas. Depuis qu’il est arrivé au Kremlin en 2000, l’ancien officier du KGB n’a eu de cesse d’en réécrire certains chapitres, notamment ceux qui, après la chute du communisme, avaient entériné la perte d’influence de Moscou sur ses voisins. Effacer ou vider de leur contenu les indépendances de 1991, rejouer la guerre froide à son avantage : le président russe, qui considère la disparition de l’URSS comme une « catastrophe géopolitique », veut revoir l’ordre international post-soviétique et retrouver son influence sur les anciennes Républiques d’URSS.

 

Obsédé à l’idée d’une contagion démocratique et libérale venue d’Ukraine qui pourrait menacer son régime, Vladimir Poutine a proposé, le 17 décembre, aux Américains et à l’Otan un nouveau Yalta, qui les chasserait de l’est de l’Europe, redessinerait la carte géopolitique du continent et permettrait à Moscou de reprendre le contrôle, directement ou indirectement, de l’ancien glacis soviétique. L’Ukraine est le principal pays visé. Contrairement à la Géorgie, dont la rébellion s’est affaiblie après l’intervention militaire russe de 2008 et à la Biélorussie, contrainte de ployer le genou face aux pressions politiques et économiques du Kremlin, l’Ukraine, malgré l’annexion de la Crimée en 2014 et la déstabilisation du Donbass, clame inlassablement son attachement à l’Occident et à la démocratie. Elle frappe de plus en plus fort aux portes de l’Otan et de l’Union européenne. Mais pour Vladimir Poutine, la perspective d’une entrée, même lointaine, de ce grand voisin dans l’Alliance atlantique, a toujours été une ligne rouge.

 

Mettre à l’écart l’Otan et les Américains

 

L’enjeu de l’ultimatum russe, qui sera au cœur de la réunion entre Joe Biden et Vladimir Poutine à Genève le 10 janvier, ne concerne pas seulement l’Ukraine. Les deux traités proposés le 17 décembre par le président russe aux États-Unis et à l’Alliance atlantique, sommés de les accepter « immédiatement », équivalent en fait à un sabordage de l’Otan. Vladimir Poutine exige l’abandon de tout nouvel élargissement de l’Alliance, le gel permanent de ses bases sur le territoire de l’ancienne Union soviétique, le retrait des armes nucléaires américaines en Europe. Le Kremlin demande aussi à l’Otan de cesser ses activités dans les pays d’Europe orientale et notamment dans les pays Baltes et en Pologne, où l’Alliance s’est renforcée dans le cadre des mesures de « réassurance » de ses alliés. Il pousse indirectement les Américains à quitter l’Europe orientale. « Vladimir Poutine veut effacer l’effondrement de l’URSS. Il pense que le rapport de force a basculé et qu’il est aujourd’hui en faveur des puissances révisionnistes anti-occidentales », écrit l’historienne Françoise Thom dans un article publié dans Desk Russie.Le président russe veut avoir son mot à dire sur la sécurité européenne. En 1945, la conférence de Yalta avait encouragé la division de l’Europe. Comme Staline avait à l’époque obtenu de la part de Roosevelt et Churchill la reconnaissance d’une zone d’influence russe à l’Est, Vladimir Poutine demande aujourd’hui aux Américains son rétablissement, qui a fondu au fur et à mesure du rapprochement des anciens pays soviétiques avec l’Occident. Il veut refaire de l’espace post- soviétique une sphère d’intérêt vital et de domination exclusive de la Russie, reconnue comme telle par les Occidentaux. Faute de quoi, le Kremlin menace l’Ukraine, mais aussi les Occidentaux, « d’une alternative militaro-technique ». « Les Européens doivent aussi réfléchir s’ils veulent éviter de faire de leur continent le théâtre d’un affrontement militaire », a affirmé le vice-ministre des Affaires étrangères Alexandre Grouchko.Les Américains dans une impasse

Les États-Unis et l’Otan ont condamné les exigences du Kremlin. Mais le président russe est en position de force. « Si Vladimir Poutine agit comme s’il avait la haute main dans cette affaire, c’est parce que c’est le cas », écrit Dmitri Trenin, le directeur du Centre Carnegie de Moscou, dans Foreign Affairs. Il a massé plus de 100 000 hommes et du matériel lourd aux frontières de l’Ukraine, où il peut déclencher une intervention militaire en quelques heures. Outre le chantage militaire, Vladimir Poutine bénéficie aussi de la faiblesse des Américains. Certes, ils ont menacé Moscou de nouvelles sanctions en cas d’invasion de l’Ukraine. Mais en affirmant qu’ils n’utiliseraient pas la force militaire pour la défendre… Voilà bien longtemps que les Américains, à l’Est, regardent davantage Pékin que Moscou. « Il y a dans l’Administration Biden une inertie intellectuelle sur le sujet russo-ukrainien. Avec beaucoup d’embarras et peu d’imagination. Vladimir Poutine a mis le doigt sur la contradiction de la politique étrangère américaine, qui d’un côté refuse de mettre son veto à l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan et de l’autre ne veut pas défendre Kiev en cas d’attaque militaire de la Russie », explique Benjamin Haddad, le directeur du programme Europe de l’Atlantic Council. Le 10 janvier à Genève, Joe Biden espère éviter l’engrenage et « gagner du temps » pour trouver une solution diplomatique à la crise ukrainienne. « Mais le risque, poursuit Benjamin Haddad, c’est que les Américains soient piégés. La réaction initiale aux menaces russes aurait dû être plus forte. Pour négocier, il faut être dans un rapport de force. »

 

Dans ce contexte, quel terrain d’entente les deux présidents pourront-ils trouver sur les bords du lac Léman ? Certains évoquent la possibilité d’un moratoire sur l’extension de l’Otan à l’Ukraine et à la Géorgie. Mais de trop fortes concessions de la Maison-Blanche, pour respecter les lignes rouges du Kremlin, porteraient un nouveau coup à la crédibilité américaine dans le monde, déjà très affectée. En août 2013, le renoncement de Barack Obama à lancer des frappes contre le régime syrien, qui avait franchi sa ligne rouge sur les armes chimiques, avait durablement affaibli la parole américaine et ouvert une autoroute aux interventions russes dans la région. Le désastreux retrait d’Afghanistan en août 2021, qui a donné l’image d’une Amérique faible et fuyante, n’a fait qu’aggraver les doutes sur la fiabilité des États-Unis vis-à-vis de leurs alliés. Depuis ce retrait, dans le monde entier, les pays redéfinissent leurs alignements géopolitiques.

Le ton particulièrement dur de la Russie, qui exclut toute « concession » sur ses exigences, n’a pas été adouci par le coup de téléphone qu’ont eu le 30 décembre, à la demande du Kremlin, Joe Biden et Vladimir Poutine. Le président américain s’est – mollement – dit « résolu » à réagir à une nouvelle invasion russe en Ukraine. Vladimir Poutine, lui, a exigé des « résultats » à ses demandes de garantie de sécurité.

L’UE réduite à l’état de spectatrice

Si l’ultimatum s’adresse aux Américains et aux Européens, l’Europe a été exclue des négociations du 10 janvier. Vladimir Poutine, qui ne prend pas au sérieux l’Union européenne, divisée et rétive aux rapports de force, a imposé un tête à tête avec les États-Unis, comme à l’époque de la guerre froide. Une fois n’est pas coutume, Josep Borrell, le ministre des Affaires étrangères de l’UE, a été plus ferme que la Maison-Blanche dans sa condamnation des exigences russes, jugées « complètement inacceptables ». De même les menaces contre l’Ukraine. « L’intégrité territoriale d’un pays et le droit d’un État souverain de décider de ses propres coopérations avec d’autres pays ou alliances, ces principes ne sont pas négociables », a-t-il prévenu. Il n’empêche que l’Europe a été tenue à l’écart par la Russie, qui ne veut discuter de son sort et de la redéfinition de l’architecture de sécurité du continent qu’avec les États-Unis…

Quant à l’Ukraine, sa perspective d’intégrer un jour l’Otan s’est encore un peu plus éloignée. La spécialiste de la Russie, Françoise Thom, prévient : « Après Munich, en 1938, les Occidentaux éprouvèrent une grande honte d’avoir abandonné la Tchécoslovaquie dans les griffes de Hitler. Aujourd’hui, nous sommes en train de laisser tomber lâchement l’Ukraine, mais nous ne nous rendons même pas compte de notre déshonneur, ni du péril qu’il y a à céder à un agresseur. »

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