La relation MACRON-POUTINE à  l’épreuve de la crise ukrainienne

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CELA pourrait bien être un virage dans la politique russe d’Emmanuel Macron. Après avoir longtemps espéré le réchauffement des relations avec Moscou, les mots et l’attitude du président se sont durcis, sous ­l’effet cumulé des agressions de politique étrangère de Vladimir Poutine et de ses tentatives de déstabiliser l’Europe. « La Russie est devenue une puissance de déséquilibre », affirme désormais le président français, qui doit s’entretenir vendredi des tensions autour de l’Ukraine avec le maître du Kremlin.

 

Depuis l’intensification de la crise avec la Russie, Emmanuel Macron a multiplié les gestes de soutien vis-à-vis de Kiev. Il a proposé d’envoyer des forces pour participer à la présence renforcée de l’Otan en Roumanie. À défaut de se rendre lui-même à Kiev, où les responsables ukrainiens l’attendent en vain depuis plusieurs mois, il y délègue son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qui s’y déplacera dans dix jours avec son homologue allemand. Pendant les interminables 8 heures 30 qu’ont duré les négociations entre les représentants de l’Allemagne, de la France, de la Russie et de l’Ukraine mercredi pour relancer le processus de paix dit « de Normandie », la partie française, représentée par Emmanuel Bonne, a, selon une source proche du dossier, tenu tête « avec force et détermination » à l’envoyé spécial du Kremlin, Dmitri ­ozak. L’époque où le président français pensait pouvoir amadouer les deux grands trublions de la scène politique internationale, Donald Trump et Vladimir Poutine, est révolue.

 

Vis-à-vis de la Russie de Poutine, Emmanuel Macron suit finalement le même chemin que ses prédécesseurs : d’abord la main tendue, puis la désillusion. Nicolas Sarkozy avait tenté le rapprochement en vendant à la Russie des bateaux de guerre, les fameux Mistral, mais avait fini son quinquennat en mauvais termes avec le maître du Kremlin. François Hollande avait démarré le sien sur une relation cordiale avec Vladimir Poutine, pour le terminer par l’annulation de la vente de ces mêmes Mistral. Emmanuel Macron n’a pas échappé à la règle.

Le premier acte du « reset » macronien, littéralement le « redémarrage » des relations, a eu lieu dans la foulée de l’élection, fin mai 2017, dans l’un des lieux les plus symboliques de l’histoire française, le château de Versailles. Et à l’époque quasiment tout le monde, les opposants comme les partisans d’un rapprochement avec la Russie, avait considéré cette initiative comme un succès. Vladimir Poutine, le premier chef d’État étranger invité par le nouveau président français, y avait été reçu comme un tsar. Emmanuel Macron lui avait ouvert la porte, en l’assurant qu’aucun des grands sujets internationaux ne devait être traité sans la participation de la Russie. Mais il avait aussi fait part de ses divergences sur l’Ukraine et la Syrie, et critiqué les journalistes de Spoutnik et de Russia Today (RT), proches du Kremlin, considérés comme « des agents d’influence et de propagande mensongère ».

Un an plus tard, Emmanuel ­Macron exhortait à nouveau la Russie, dans les couloirs du Palais Constantin à Saint-Pétersbourg, la ville la plus européenne du pays, à reconnaître ses racines occidentales et à reprendre la coopération avec l’Europe et les États-Unis. « La Russie est une partie inaliénable de l’Europe », affirmait-il. Peu importe que la Russie elle-même rejette les valeurs européennes et celles de l’Occident, et de plus en plus ouvertement. Peu importe que tous les responsables français avant lui se soient déjà cassé les dents sur les façades du Kremlin. Pour Emmanuel Macron, la Russie est européenne par nature et il faut tout faire pour l’ancrer au continent.

Dialogue stratégique

Mais c’est la rencontre au fort de Brégançon, la résidence d’été du président de la République, dans le Var, qui restera sans doute, en août 2019, le moment culminant de la relation avec Vladimir Poutine. C’est là qu’Emmanuel Macron y lance son initiative solitaire, qui sera très critiquée par ses partenaires, de « dialogue stratégique » avec le Kremlin. Pour le président français, la rencontre est considérée comme un prélude à la réintégration de la Russie dans l’ordre mondial occidental. Ce dialogue doit permettre d’avancer sur les grands sujets d’actualité, comme la Syrie, l’Ukraine, le désarmement.

Quelques jours plus tard, devant des diplomates incrédules, Emmanuel Macron rappelle à l’ordre les diplomates, pendant la Conférence des ambassadeurs, d’une manière directe et sèche, dénonçant les « résistances » qu’ils opposent selon lui au réchauffement des relations avec la Russie. Ceux qui, au Quai d’Orsay ou au ministère de la Défense, voient davantage en Vladimir Poutine un destructeur de l’ordre international et une menace pour l’Europe qu’un partenaire sont priés de changer de cap. « Je sais que beaucoup d’entre vous se sont formés dans la défiance envers la Russie… En général, sur ce sujet, on écoute le président et on fait comme d’habitude. Je ne saurais que vous conseiller de ne pas suivre cette voie », avait-il dit.

Comme George W. Bush, en son temps, avait cru « voir l’âme » de Vladimir Poutine en regardant au fond de ses yeux, Emmanuel Macron a cru qu’il pouvait lire le président russe. Il comprend, notamment, « l’humiliation » subie par la Russie après la chute du mur de Berlin, dans les années 1990, quand le Kremlin s’est mis à voir l’Europe comme une porte d’entrée dans l’Otan pour les anciens pays du glacis soviétique. Il considère que les Européens, après la chute de l’URSS, ont cru à tort à la fin de l’histoire et à la vertueuse propagation de la démocratie. Qu’ils ont, dans leur élan, été trop atlantistes et ont laissé l’Alliance atlantique s’étendre à l’est plus que de raison. Il estime que l’Occident a en partie jeté la Russie dans les bras de la Chine et que ce rapprochement entre les deux puissances ne sert pas les intérêts de l’Europe.

Mais les efforts d’Emmanuel ­Macron se heurteront, comme ceux de ses prédécesseurs, aux murs rouges du Kremlin. Malgré toute l’énergie déployée par Pierre Vimont, l’envoyé spécial du président pour la Russie, le dialogue avec le Kremlin n’a rien donné. En Syrie, Vladimir Poutine a mis des bâtons dans les roues de la coalition antiterroriste. En Afrique, notamment au Mali, la société privée de mercenaires Wagner, proche du Kremlin, a sapé le travail de la France. L’empoisonnement de l’opposant Alexeï Navalny, le 20 août 2020, et les mensonges du pouvoir ont été reçus comme une douche froide à l’Élysée. « Je crois que c’est quand Vladimir Poutine lui a suggéré que Navalny avait pu s’auto-administrer le poison que le président a réalisé que ça allait être très difficile », commente un proche de l’Élysée. Au Haut-Karabakh, pendant la crise entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, la France, qui pourtant coprésidait le Groupe de Minsk chargé de résoudre le conflit, a été évincée des pourparlers par Moscou, qui a géré l’affaire avec la Turquie.

Depuis l’initiative du fort de Brégançon, la politique de rapprochement avec la Russie d’Emmanuel Macron a en outre été critiquée par les partenaires de la France, notamment les pays d’Europe centrale et orientale, très sensibles à la menace russe. Beaucoup ont reproché à Emmanuel Macron d’avoir fait preuve de naïveté vis-à-vis du Kremlin, d’erreur de jugement en croyant que la Russie est européenne alors que depuis 2012, Vladimir Poutine l’a redéfinie comme « puissance non occidentale ». Ils n’ont pas toujours compris la conviction culpabilisante selon laquelle les agressions du régime russe étaient en partie dues aux erreurs commises par les Occidentaux depuis la chute du Mur, alors qu’elles sont liées à la nature du régime, aux ambitions de son président et au changement de perception du monde.

Mais plus que le fond – la volonté de parler à la Russie pour la rapprocher du camp occidental et pouvoir traiter efficacement avec elle les grandes crises internationales -, c’est la forme qui a été reprochée au chef d’État français. Sans doute parce qu’il a souvent agi sans consulter ses alliés, comme en juin 2021, lorsqu’il avait, seul avec l’Allemagne, proposé une conférence entre la Russie et l’Union européenne. Et parce que les partenaires européens regrettent l’utilisation de certains mots qui les inquiètent. Ce fut le cas avec le concept « d’autonomie stratégique européenne ». Ce fut également le cas dans le discours sur l’Europe du 19 janvier dernier, avec l’expression de « nouvel ordre de sécurité et de stabilité » qui, pour les pays de l’est du continent, peut sous-entendre une redéfinition de l’ordre de 1990, réclamée par la Russie.

Rapport de force

Le président français se défend, lui, de toute naïveté. Sa démarche, expliquée par ceux qui ont participé à l’initiative, se rapprocherait plutôt de celle de l’ancien chancelier allemand Willy Brandt, quand il a lancé sa politique de détente avec l’URSS, un an après l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968. « Il savait que ce serait difficile, car le monde de Vladimir Poutine est un monde de brutes qui ne travaillent qu’au rapport de force et cassent le système international. Il a agi en connaissance de cause, avec pragmatisme et en assumant le rapport de force », explique une source diplomatique. Sans doute, s’il n’avait pas tenté un rapprochement avec la Russie, Emmanuel Macron aurait été critiqué par une grande partie de la classe politique française.

Sur le fond d’ailleurs, il n’a jamais cédé à Vladimir Poutine. La main qu’il lui a tendue a toujours été recouverte d’un gant de fer. Le président n’a jamais remis en cause les sanctions liées à l’Ukraine. La France s’est impliquée dans les mesures de « réassurance » des pays Baltes. En avril 2021, Emmanuel Macron a affirmé que la communauté internationale devait tracer des « lignes rouges, claires avec la Russie » en parlant de l’Ukraine et de la Crimée. Finalement, en défendant bec et ongles le gazoduc NordStream 2 qui relie la Russie à l’Allemagne, malgré l’opposition de ses partenaires européens, Angela Merkel a fait davantage de concessions qu’Emmanuel Macron à Vladimir Poutine.

Mais aujourd’hui force est de constater que la politique de réchauffement avec le Kremlin se solde par un échec. L’Ukraine sera peut-être la goutte qui fait déborder le vase. L’équilibre entre le « dialogue » et la « fermeté » est de plus en plus difficile à trouver entre l’Élysée et le Kremlin. « De toute évidence, cette approche est devenue trop simpliste avec la Russie. Il faut la revoir », concède un haut diplomate.

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