Grande figure intellectuelle, l’ancien recteur de l’Université Saint-Joseph est décédé à l’âge de 90 ans.
L’ancien recteur de l’Université Saint-Joseph (USJ) entre 1995 et 2003, le père Sélim Abou, figure emblématique de toute une jeunesse en révolte et animée par les idéaux de la « résistance culturelle » contre l’occupation syrienne, est décédé dimanche matin, à 6 heures, à l’âge de 90 ans.
Sélim Abou est né en 1928 à Beyrouth. En 1946, il entre chez les Jésuites, en France, où il poursuit des études littéraires, philosophiques et théologiques. En 1961 il obtient un doctorat ès Lettres, peut-on lire sur le site de l’USJ. Suite à la fermeture de l’Ecole Supérieure des Lettres, il fonde en 1977 la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de l’USJ dont il sera le doyen jusqu’en 1992. De 1995 à 2003 il est recteur de l’USJ.
De juin 1993 à février 1999, il est le coordonnateur du réseau « Cultures langues et développement » de l’AUPELF/UREF. Il est aussi directeur des Presses de l’USJ et titulaire de la Chaire Louis D. – Institut de France d’anthropologie interculturelle.
Ecrivain, philosophe et anthropologue, Sélim Abou a centré ses recherches sur l’entrecroisement des cultures dans le monde, les phénomènes d’acculturation et les conflits d’identité, le multiculturalisme et la citoyenneté. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont : « Les Mbyas Guaranis. Le Temps de la Reconnaissance » (2012), « De l’identité et du sens. La mondialisation de l’angoisse identitaire et sa signification plurielle » (2009), « L’identité culturelle, suivi de Cultures et droits de l’homme » (2002) et « Béchir Gemayel ou l’esprit d’un peuple » (1984).
Ses discours à l’occasion de la fête de saint Joseph, attendus par les étudiants, le corps enseignant et même certains milieux politiques, avaient été compilés dans « Les libertés. Discours annuels du Recteur de l’Université Saint-Joseph 1996-2003 » (2003).
Ses discours contre l’occupation syrienne
En effet, dans ses discours à l’occasion de la Saint-Joseph, Sélim Abou s’attaquait, sans se départir un instant de son discours académique, à la violence symbolique pratiquée par Damas contre le Liban et ses institutions. Il dénonçait notamment un processus de perversion du langage au service de la légitimation de la tutelle, visant à créer un nouvel univers mental et politique, en annulant le discernement critique qui fonde le jugement, rompant la cohésion sociale, disloquant la solidarité pour la remplacer par de la méfiance, suspendant le discours rationnel afin d’empêcher, ultimement, tout dialogue et toute remise en question du statu quo.
Le père Abou, qui s’est vite attiré le feu menaçant des caciques de l’occupation syrienne, a continué néanmoins à démonter, année par année et pièce par pièce, le système syrien au Liban. En décembre 2002 il affirmait par exemple que « l’occupation est la mère des plaies dont souffre le Liban« , estimant qu’une « résistance culturelle » serait actuellement plus efficace que les sit-in et les manifestations « sauvagement réprimées ».
Peu enthousiaste vis-à-vis des mouvements de masse, le père Abou avait incité les étudiants dans ses discours à mettre en œuvre une « résistance culturelle » contre l’occupant, les exhortant à écrire, à se faire entendre autrement, à consolider leur engagement pour la culture des droits de l’homme et des libertés publiques, et à sortir de leur carcan communautaire et tribal, en élargissant la plateforme de leur résistance estudiantine. Rien que pour cela, Sélim Abou reste l’un des pères symboliques du retrait syrien.
« Philosophe et penseur des droits de l’homme, Sélim Abou en prend la défense tant dans ses écrits que dans ses discours de la Saint-Joseph, durant toute la durée de son mandat de recteur de l’USJ, avec une insistance particulière sur le respect absolu de la dignité de l’être humain et sur la liberté des personnes et des peuples. Cela fait de lui ce que j’ai appelé moi-même un anthropologue de l’universel. Son objectif est de détecter dans les particularités du culturel la dimension universelle propre à l’humain, qui véhicule, toujours, quelles qu’en soient les conditions, des valeurs transcendantales », avait écrit le professeur Mounir Chamoun dans les colonnes de L’Orient-Le Jour en 2013.
« Père Abou est avant tout un pédagogue qui a pris à sa charge, au sortir d’une guerre de type identitaire, d’aider les Libanais à répondre à la question fondamentale qui se pose à eux : comment vivre ensemble égaux dans leurs droits et leurs devoirs, et différents dans leurs appartenances communautaires ? », avait de son côté écrit Samir Frangié dans L’Orient Littéraire en 2013.
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