DÉSORMAIS habitué des tarmacs d’aéroport, le général Abdel Fattah al-Burhan a troqué l’uniforme militaire et son béret vert olive pour le costume-cravate. Fin août, le commandant en chef de l’armée soudanaise débutait une tournée régionale dans la ville portuaire égyptienne d’El-Alamein, où il était reçu par son allié de longue date, le président Abdel Fattah al-Sissi, avant de rencontrer dans la foulée ses homologues sud-soudanais, turc et qatarien.
Objectif de ces visites officielles : s’assurer de soutiens diplomatiques de poids dans le conflit qui l’oppose depuis le 15 avril dernier aux Forces de soutien rapide (RSF, en anglais) du général Mohammed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti ». Ces affrontements ont transformé le plus grand pays d’Afrique de l’Est en un vaste champ de bataille forçant, selon l’ONU, plus de 6,3 millions de Soudanais à fuir les violences et plongeant le pays dans la pire crise humanitaire de son histoire.
« Al-Burhan cherche à se présenter comme la véritable autorité, il veut montrer qu’il est une figure présidentielle plutôt qu’un général coincé dans une guerre impopulaire », estime l’analyste politique soudanaise Kholood Khair. En se rendant à l’assemblée générale des Nations unies fin septembre, le dirigeant de factodu Soudan a pu apparaître aux yeux de la communauté internationale comme le chef légitime du pays.
Depuis New York, Abdel Fattah al-Burhan a profité de la tribune de l’assemblée pour dénoncer la guerre d’agression menée par son rival, tout en promettant que « les forces armées quitteraient définitivement la scène politique une fois les élections organisées, après la mise en place d’un gouvernement civil intérimaire ». Une déclaration accueillie avec scepticisme par de nombreux Soudanais lassés des promesses non-tenues par les militaires depuis le coup d’État du 25 octobre 2021.
Ces attaques d’al-Burhan contre son rival coïncident avec l’isolement croissant d’Hemedti sur la scène internationale. Celui-ci est affaibli par les massacres à répétition au Darfour et les graves atteintes aux droits de l’homme dans les quartiers de la capitale contrôlés par les RSF.
Changement de ton de la diplomatie américaine ?
Les États-Unis ont adopté début septembre une série de sanctions ciblant exclusivement des proches d’Hemedti dont son frère, Abderrahim Dagalo, commandant adjoint de la milice, ainsi qu’Abdul Rahman Juma, à la tête des RSF au Darfour occidental. Ce durcissement fait suite à la visite de l’ambassadrice des États-Unis auprès des Nations unies à la frontière tchado-soudanaise. Dans un communiqué, Linda Thomas-Greenfield affirme que les membres des RSF « se sont livrés à des actes de violence et à des violations des droits de l’homme, y compris le massacre de civils, des meurtres ethniques et l’utilisation de la violence sexuelle ».
Le chef de l’armée compte bien surfer sur cette dynamique diplomatique favorable pour se débarrasser politiquement de son adversaire. Le Conseil de souveraineté, présidé par le général al-Burhan, a révoqué le statut officiel des RSF, renvoyant l’organisation paramilitaire au rang de simple milice, tandis que plusieurs groupes armés du Darfour ont décidé de rompre avec leur neutralité et de s’aligner aux côtés de l’armée soudanaise.
Mais cet ascendant sur la scène internationale cache en réalité une déroute de l’armée dans la capitale soudanaise et dans la moitié ouest du pays. Après s’être emparées de plusieurs bases du régime, les RSF contrôlent une grande partie de Khartoum. Si, avec la destruction du pont Shambat, l’armée tente encore de couper les lignes de ravitaillement des RSF, l’offensive récente des hommes d’Hemedti contre Jebel Aulia confirme sa supériorité dans la capitale. « Al-Burhan présente aujourd’hui sa fuite du quartier général de l’armée comme une échappée héroïque, forçant son chemin à travers les lignes ennemies en perdant de fidèles lieutenants. Mais, dans les faits, il a perdu Khartoum », observe Kholood Khair.
Une perte admise en privé par plusieurs hauts gradés. Les membres du gouvernement et plusieurs responsables de l’ONU opèrent désormais depuis Port-Soudan, devenu le nouveau centre administratif du pays. Épargnée par les combats, la ville située à l’extrémité est du pays, sur les bords de la mer Rouge, abrite le seul aéroport encore en état de marche. Les liaisons aériennes avec l’Égypte ont récemment repris. Un projet de centre des congrès ainsi que la construction d’un nouveau palais présidentiel sont à l’étude, laissant transparaître le pessimisme de l’état-major soudanais quant à une reconquête de Khartoum à court ou moyen terme. « Nous sommes à un moment charnière du conflit. Si un gouvernement d’intérim est formé à Port-Soudan, il y a un risque de se retrouver dans un scénario libyen, avec deux entités contrôlant chacune une partie du territoire », déplore Kholood Khair