Les affrontements entre l’armée et les forces paramilitaires du numéro deux du régime ont fait 56 morts dans la capitale soudanaise.
Dans le nord de la capitale soudanaise, la famille d’Ahmed Ragab n’est pas passée loin du drame lorsqu’une balle de gros calibre a traversé la fenêtre du salon, où parents et enfants étaient réunis. Depuis, c’est la peur au ventre et loin des fenêtres, manquant à chaque instant de voler en éclat, qu’Ahmed et ses proches attendent l’arrêt des combats. Depuis samedi, de violents affrontements entre l’armée et les Forces de soutien rapide (FSR), la puissante milice paramilitaire du numéro deux du régime, Mohammed Hamdan Daglo, dit Hemetti, ont plongé le pays dans le chaos. En plein cœur des quartiers résidentiels de Khartoum et ses deux villes sœurs, Omdurman et Bahri, les forces qui se partageaient jusque-là le pouvoir se livrent désormais un combat acharné aux allures de guérilla urbaine. En 24 heures, les combats ont tué 56 civils et 3 employés humanitaires de l’ONU.
Un scénario redouté de longue date par les Soudanais, témoins depuis le coup d’état militaire du 25 octobre 2021 de l’escalade des tensions entre le général Abdel Fattah al-Burhan, commandant en chef de l’armée, et Hemetti. Des relations envenimées ces dernières semaines par les négociations autour de l’accord politique censé mettre fin à la mainmise des militaires sur le pouvoir, et qui ont retardé la nomination d’un gouvernement civil de transition prévu début avril.
En cause, la réforme du secteur sécuritaire et le projet d’intégration des FSR à l’armée régulière. Cette dernière, au pouvoir presque sans interruption depuis l’indépendance du pays, voyant d’un mauvais œil son affaiblissement et la présence de miliciens, nomades du Darfour – dont est originaire Hemetti – à des postes de commandement.
Les déclarations publiques du chef des FSR, qualifiant le coup d’état « d’erreur » et appelant les militaires à ne pas s’accrocher au pouvoir, ont fini d’irriter de nombreux généraux. La rivalité politique cédant à l’hostilité franche entre les deux hommes, rendait de plus en plus inévitable une confrontation directe.
Mercredi 12 avril, le déploiement par Hemetti d’une centaine de véhicules des FSR autour de la base aérienne de Méroé, dans le nord du pays, a fait monter la tension d’un nouveau cran, l’armée dénonçant une manœuvre illégale et laissant 24 heures aux miliciens pour se désengager. L’ultimatum, ignoré par Hemetti, serait à l’origine de l’attaque samedi par l’armée d’une base des FSR dans le sud de la capitale. Une allumette sur un champ de pétrole.
En quelques heures, les milices d’Hemetti prennent le contrôle de plusieurs points clés de la capitale, dont l’aéroport – où deux avions de ligne sont rongés par les flammes – et le siège de la télévision nationale. Le compte Twitter des Forces de soutien rapide annonce dans la foulée occuper le palais présidentiel. En réponse, l’armée soudanaise transforme la capitale en véritable champ de bataille. Des chars, appuyés par de l’artillerie lourde, sont déployés dans Khartoum tandis que des MiG de l’aviation soudanaise, rasant la cime des immeubles d’habitation, bombardent l’imposant quartier général des FSR. Tout le week-end, les deux camps ont affirmé par médias interposés avoir pris le dessus sur leur adversaire. Une guerre de l’information acharnée qui rend difficile une évaluation précise des lignes de front.
De Khartoum, les affrontements se sont rapidement étendus aux principales villes du Soudan, où les milices d’Hemetti et l’armée se font face, notamment dans la région du Darfour. À Nyala, le Comité des docteurs soudanais pointe un bilan humain élevé et des familles quittant la ville pour échapper aux violents combats. Dans le Nord-Darfour, à el-Fasher, 3 employés du Programme alimentaire mondial ont été tués, selon un communiqué des Nations unies.
Malgré les nombreux appels au calme de la communauté internationale et des forces politiques soudanaises, aucun des deux camps ne semble prêt à négocier. « Il y a plusieurs tentatives de conciliation, notamment de la part de l’Égypte et du Soudan du Sud, mais c’est compliqué, les deux parties se livrent à une surenchère verbale et militaire », confie une source diplomatique occidentale en poste à Khartoum. Une référence à la sortie d’Hemetti sur la chaîne al-Jazeera, affirmant qu’« al-Burhan sera capturé ou mourra comme un chien ».
« Il n’est jamais trop tard pour imposer une médiation, mais il faut une vraie volonté », explique l’analyste soudanaise Kholood Khair. Un corridor humanitaire de quelques heures, demandé par le Conseil de sécurité des Nations Unis, serait négocié en ce moment entre l’armée et les FSR, une mesure nécessaire alors que plus de 250 enfants étaient toujours bloqués, sans nourriture, dans une école proche du palais présidentiel, et que de nombreux Soudanais sont sans eau, ni électricité, depuis le début du conflit.
Quel que soit le résultat de ces affrontements, les deux hommes en sortiront politiquement perdants. « Al-Burhan et Hemetti ont tous deux fait un mauvais calcul en faisant de Khartoum leur champ de bataille, à la fin du conflit, ils doivent s’attendre à trouver le peuple en colère », prédit Kholood Khair. Si les périphéries du Soudan sont malheureusement le théâtre de nombreux conflits, c’est la première fois de l’histoire du pays que la capitale est le décor d’une confrontation militaire. « Ce n’est pas notre guerre et ce n’est pas une guerre civile, c’est une lutte de pouvoir au sommet de l’État sans aucune considération pour le peuple soudanais », déplore Ahmed Ragab, alors que le bilan provisoire de 56 morts et près de 600 blessés s’alourdit à mesure que le conflit se propage dans le pays.