La politique américaine de « pression maximale » cherche à rendre impossible une réhabilitation complète de l’accord sur le nucléaire
Dans la litanie des divergences entre les Etats-Unis et leurs alliés européens depuis quatre ans, un pic est sur le point d’être franchi.
Le 20 septembre expirera le délai d’un mois depuis le déclenchement par l’administration Trump de la procédure dite du « snapback ». Soit la réintroduction des sanctions onusiennes qui visaient l’Iran avant la signature de l’accord sur le nucléaire (JCPOA), en 2015. Mais tous les autres signataires (Union européenne, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Chine, Russie) contestent formellement aux Etats-Unis la possibilité d’entreprendre une telle démarche unilatérale, dès lors qu’ils ont quitté l’accord en 2018.
Washington estime en avoir le droit en tant que signataire de la résolution 2231 adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies. A l’approche de la présidentielle du 3 novembre, l’administration Trump essaie de parachever sa stratégie au Moyen-Orient, dont la politique de « pression maximale » contre l’Iran constitue un pilier. Il s’agit de rendre impossible une réhabilitation complète de l’accord sur le nucléaire.
Cet objectif explique le refus américain de tout compromis concernant l’embargo sur les armes légères, qui arrive à expiration le 18 octobre. Washington voulait sa reconduction, Pékin et la Russie s’y opposent. Les Européens, eux, ont cherché une voie médiane. « On a avancé de nombreuses formules alternatives pour traiter les questions de sécurité soulevées par la fin de l’embargo, affirme une source diplomatique française. Il y a eu beaucoup d’échanges avec les Etats-Unis autour des idées que nous avons présentées, mais leur position est intransigeante. »
Se profile donc un moment diplomatique exceptionnel, à double titre : l’isolement américain complet – si on met à part le soutien d’Israël – sur un dossier international majeur, et la confirmation d’une réalité juridique parallèle, entretenue par Washington. D’un côté, les Américains comptent annoncer seuls le retour des sanctions. De l’autre, Européens, Russes et Chinois se préparent à ignorer la position de Washington. Les pays de l’E3 (Grande-Bretagne, Allemagne, France) ont une ligne d’horizon immédiate, le 3 novembre. Ils réfléchissent à la stratégie à adopter dans les deux mois entre l’élection et l’entrée en fonctions éventuelle de Joe Biden. Le candidat démocrate souhaite un retour américain dans le JCPOA. Mais à quelles conditions ?
Offensive intense
Dans ce contexte, l’offensive de l’administration Trump contre les Européens est intense. Washington vise en particulier Paris, en l’attaquant sur le terrain libanais. « Comment est-il possible que la France vote contre l’embargo sur les armes, et que la semaine suivante le président Macron rencontre un haut représentant du Hezbollah à Beyrouth ? », feignait ainsi de s’interroger M. Pompeo, dans une tribune au Figaro, publiée le 13 septembre. Pourtant, Washington n’avait pas du tout exprimé de réserves publiques, depuis début août, en réponse aux pressions exercées par Emmanuel Macron sur la classe politique libanaise, qui se dérobe devant ses responsabilités depuis l’explosion au port de Beyrouth.
Médiatique, cette campagne américaine pourrait prendre une dimension plus concrète après le 20 septembre. « Face au rejet presque unanime que suscite leur position au Conseil de sécurité, il ne serait pas surprenant de voir les Etats-Unis préparer un nouvel arsenal de sanctions unilatérales contre les pays qui ne les suivraient pas aveuglément », estime Ellie Geranmayeh, spécialiste du dossier iranien à l’European Council on Foreign Relations. Une position encore plus dure sur l’Iran pourrait servir la campagne électorale de Donald Trump. « Nous avalons couleuvre après couleuvre pour sauver l’accord nucléaire, cela ne peut pas durer éternellement… », commente une source iranienne. La République islamique a ainsi récemment donné suite aux demandes d’accès de l’Agence internationale de l’énergie atomique à deux sites liés à son ancien programme nucléaire.
« Le gouvernement de Rohani et les Européens sont dans le même bateau et partagent l’objectif de sauver l’accord coûte que coûte », estime la source iranienne. Le ministre iranien des affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, devait se rendre cette semaine dans les capitales des pays de la troïka européenne (Allemagne, France et Royaume-Uni) pour mettre en scène ces convergences de vues, que les diplomates européens s’attachent à nuancer. La visite a été annulée à la suite du tollé international qu’a suscité l’exécution annoncée samedi du lutteur Navid Afkari, accusé de s’en être pris aux forces de l’ordre iraniennes lors des manifestations de l’hiver 2017-2018.
La position de l’Iran n’est pas hermétique par rapport au dessein plus large de l’administration Trump au Moyen-Orient, et notamment le rapprochement spectaculaire entre Israël et plusieurs pays arabes. Sans les nommer, le président iranien, Hassan Rohani, a lancé un avertissement à l’intention des Emirats arabes unis et de Bahreïn, le 16 septembre, les jugeant responsables des « graves conséquences » de l’établissement de relations formelles avec l’Etat hébreu, mis en scène avec faste, la veille, à la Maison Blanche.
Projet d’assassinat démenti
Dans la même séquence, un article du site d’information américain Politico a fait état d’un projet iranien d’assassinat visant l’ambassadrice américaine en Afrique du Sud. Le démenti immédiat de Téhéran n’a pas empêché le président Trump de menacer en réaction l’Iran de représailles « mille fois plus fortes » en cas d’attaque contre les intérêts américains. Alors que la campagne de frappes aériennes menée en pointillé par Israël contre des alliés de l’Iran dans la région se poursuit, reste à savoir si ce climat de plus en plus chargé viendra à bout de la « patience stratégique » de Téhéran. « Nous ne sommes pas assez idiots pour tomber dans le piège », disait récemment une source iranienne. Les Européens l’espèrent.