Un audit relève les largesses et le laisser-faire de la FIFA

0

En 2016, Gianni Infantino, élu à la tête de la Fédération de football, a fait l’inventaire du règne de son prédécesseur. L’audit n’a jamais été publié

Nous allons restaurer l’image de la FIFA. » Sitôt élu à la présidence de la Fédération internationale de football, le 26 février 2016, Gianni Infantino s’était engagé à redorer le blason de l’instance, minée par les affaires de corruption. Polissant une image de « chevalier blanc », l’Italo-Suisse s’était attelé à faire l’inventaire du règne (1998-2015) de son prédécesseur, Sepp Blatter, pour mieux s’en distinguer.

Salaires, bonus, cotisations de retraite, allocations de dépenses, remboursements de frais de voyages… Le nouvel homme fort de la FIFA a fait passer en revue les sommes versées, de 2005 à fin 2015, à plus d’une centaine de dirigeants, élus et membres de l’administration de la fédération.

Cette mission, confiée au cabinet d’audit Deloitte entre juin 2016 et février 2017, a abouti à la rédaction d’une « version préliminaire et confidentielle » d’un rapport à laquelle Le Monde a eu accès. Le document, remis en 2017 mais jamais rendu public, met au jour les mœurs financières ancrées à l’époque ainsi que les abus commis par de nombreux acteurs du football mondial.

Location d’un appartement à Rio

S’ils relèvent un contournement du système « d’approbation » en vigueur pour les procédures de paiement, qui a permis à des cadres de la FIFA d’effectuer « directement » des versements bancaires « pour lesquels les détails des bénéficiaires n’avaient pas été enregistrés » (environ 62 millions de francs suisses sur la période étudiée), les auditeurs de Deloitte insistent surtout sur la faiblesse du contrôle des remboursements de frais. Ils épinglent au passage les pratiques d’anciens membres du comité exécutif dont beaucoup étaient indemnisés à hauteur de 300 000 dollars annuels sous le règne de M. Blatter, mais qui ont profité de largesses et d’un certain laisser-faire.

Démis de ses fonctions de secrétaire général, en septembre 2015, le Français Jérôme Valcke n’est pas épargné. La FIFA a payé 232 800 dollars pour la location, de mai à décembre 2013, d’un appartement à Rio de Janeiro, avant le Mondial brésilien de 2014. Deloitte se demande s’« il y avait une raison commerciale valable pour une location de cette durée ». 31 396 dollars ont été également réglés par la FIFA à son ex-numéro deux, entre 2008 et 2015, « pour des cadeaux » ou des achats « dans des boutiques de luxe ». Contacté, M. Valcke indique que ces « dépenses professionnelles ont été validées par la division des finances de la FIFA ».

La FIFA a versé 217 322 dollars pour « les dépenses médicales » du Camerounais Issa Hayatou, ex-président de la Confédération africaine de football et ancien patron intérimaire de la FIFA (2015-2016). Un « compte courant » était destiné à ses soins. Le Thaïlandais Worawi Makudi a perçu 309 868 dollars de 2009 à 2015 pour des factures adressées à la fédération de son pays. 22 827 dollars ont été payés par la FIFA pour les « dépenses privées » du Tahitien Reynald Temarii, dans le collimateur de la justice française dans le cadre d’une enquête sur l’attribution controversée de la Coupe du monde 2022 au Qatar. L’ardoise a été effacée par la fédération en raison de la suspension de M. Temarii.

La FIFA était aussi prodigue sur les « indemnisations sous la forme d’assurance-vie ou des cotisations de retraite supplémentaires », relève Deloitte. Mais ces différentes indemnisations « n’étaient pas nécessairement comptabilisées dans les relevés de salaires et n’ont peut-être pas été déclarées à des fins fiscales ». La FIFA a versé 322 375 dollars pour l’assurance-vie de M. Blatter, de 2006 à 2009, et 477 458 dollars pour sa complémentaire privée de retraite en 2006 et 2007.

L’ex-patron de la FIFA reste la principale cible du rapport. « Je n’ai pas connaissance de ce document. Si la FIFA a des problèmes me concernant, elle peut s’adresser à moi », réagit M. Blatter. En 2009, un transfert de 11 722 dollars a été observé entre la FIFA et un compte privé de M. Blatter pour une « garantie bancaire ». Deloitte indique qu’aucune information disponible ne justifie s’il s’agissait « d’une transaction professionnelle ».

En 2007, la FIFA a remboursé 1 468 dollars à l’ex-président de la FIFA après qu’il a acheté un « cadeau », « avec une carte de crédit » au Qatari Mohamed Ben Hammam, ex-vice-président de la FIFA, architecte de la victoire de son pays pour l’attribution du Mondial 2022, suspendu à vie pour corruption. Deloitte note qu’un « compte courant » avait été ouvert à la FIFA pour M. Ben Hammam.

« Cadeau d’anniversaire »

L’ex-président de la FIFA est encore épinglé pour des donations sans que les documents disponibles permettent d’attester si ces versements étaient « connectés au travail » de la fédération. 668 827 dollars ont été donnés par la FIFA à la « Sepp Blatter Football and Humanity Foundation », « sur lesquels 100 000 dollars furent payés à la fondation comme un cadeau d’anniversaire à M. Blatter. »

Et 244 265 dollars ont été versés par la FIFA à des institutions aussi diverses que le monastère suisse de Notre-Dame de Géronde, l’université palestinienne Al-Quds de Jérusalem ou le FC Visp, le club de Viège, la ville natale de M. Blatter.

Pour des raisons contractuelles et de confidentialité, Gianni Infantino n’a pas rendu public le travail de Deloitte. Il a chargé le cabinet suisse BDO de produire un autre rapport, comportant moins d’éléments à charge et dans lequel les bénéficiaires étaient anonymisés. « Avec ces rapports, la FIFA voulait discréditer Blatter et compagnie, et montrer qu’Infantino était mieux qu’eux », explique un proche du dossier.

Deloitte épinglait toutefois aussi un membre actuel de l’état-major de M. Infantino. En 2015, le Nord-Irlandais Colin Smith, directeur des compétitions de la FIFA, a vu son employeur payer 10 696 dollars « pour les frais d’inscription de son enfant à l’école internationale de Zoug », en Suisse. La FIFA explique que c’est une « pratique courante » en cas de « déménagement ».

Deloitte s’interroge aussi sur un contrat signé en avril 2016 par Colin Smith et Markus Kattner, alors secrétaire général par intérim de la FIFA. Il accordait les droits de diffusion du congrès électif de février 2016 à treize pays d’Amérique du Sud et centrale à travers la société Mountrigi Group Ltd. « Nous n’avons pas pu identifier les raisons pour lesquelles ce contrat a été conclu en l’échange d’aucun paiement et signé après l’événement », écrit Deloitte, invitant la FIFA. L’instance précise aujourd’hui « qu’il n’y a pas de valeur associée » à de tels droits.

Enfin, le cabinet d’audit a souligné « des lacunes dans la gestion de la trésorerie » lors du 66e congrès de la FIFA, en mai 2016 à Mexico. 600 000 dollars devaient être retirés de la banque locale par la fédération, stockés dans un coffre-fort et distribués aux « délégués » des fédérations nationales pour leurs allocations journalières. Or, ni le décompte des espèces ni le registre relatif n’ont été signés ni datés. Aucun document ne confirme si le montant des fonds retirés correspondait au « montant attendu » et si le « cash restant » au terme du congrès est retourné à la banque. Le solde final n’a pas été vérifié.

La FIFA affirme aujourd’hui avoir bien récupéré « le montant restant (56 032 dollars) ». « La nouvelle administration a pris différentes mesures pour améliorer les processus selon les pratiques de bonne gouvernance », observe l’instance. Réélu par acclamation pour quatre ans, en juin 2019, M. Infantino semble n’avoir pas tenu sa promesse de moraliser l’institution.

Le Monde

Laisser un commentaire

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Share.

En savoir plus sur Middle East Transparent

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading