Depuis plus de deux ans, les révolutionnaires et les partisans du régime se renvoient la responsabilité de la destruction de nombreux lieux saints en Syrie. En France, comme dans de nombreux autres Etats occidentaux, l’opinion publique se montre beaucoup plus sensible aux agressions dont sont victimes les chrétiens et leurs lieux de culte qu’à l’exode de millions de musulmans sunnites et à la destruction des mosquées. Il en va de même en Russie, où « l’ambassadeur de Syrie, Riyad Haddad, a profité d’une récente réunion des différents partis de la Douma consacrée à la « défense des valeurs chrétiennes » pour imputer à des groupes armés de l’opposition, la destruction de plus de 60 églises et monastère chrétiens sur l’ensemble du territoire, l’émigration forcée de plus de 70 000 orthodoxes de la ville de Homs et l’abandon de leurs maisons par la moitié des chrétiens d’Alep ».
La Coalition nationale syrienne a répliqué à cette accusation en dénonçant une nouvelle fois, le 23 novembre, les pratiques des forces régulières. En transformant des sanctuaires en casernes et d’autres installations relevant des cultes chrétiens en positions d’artillerie, et en les utilisant pour bombarder les quartiers, les villes et les villages environnants, ces forces prennent le risque de les voir attaqués et détruits par les répliques de l’Armée libre et de ses alliés islamistes ou djihadistes. Selon la Coalition, ce sont plus de 3000 mosquées et des dizaines d’églises dont le régime en place porte la responsabilité de la démolition, dans ce que certains analystes considèrent comme « une entreprise délibérée de destruction des lieux et des symboles susceptibles d’unifier contre lui les voix des Syriens ».
Ces accusations réciproques interviennent au moment où des chrétiens s’interrogent, à Damas, sur l’origine des bombardements répétés dont leurs quartiers – Qassaa, Qousour et Bab Touma – sont la cible depuis quelques semaines, provoquant des dizaines de victimes, parmi lesquelles des enfants tués dans leurs écoles. Nombre d’habitants de ces quartiers, que le régime affirme « protéger » et qui sont hâtivement considérés comme acquis à son maintien en place, se disent en privé convaincus – et ils l’écrivent parfois sous le sceau de l’anonymat – que les forces hostiles à Bachar al-Assad ne sont pas les seules à diriger vers eux les tirs de leurs mortiers.
Ils relèvent d’abord que les forces dites « rebelles » n’ont aucun intérêt à procéder à ce genre d’opération contre des secteurs urbains dépourvus d’intérêt stratégique, puisque ce n’est pas là que se trouvent cantonnées les forces loyalistes et que se trouvent installées les batteries de canons qui tirent en direction des banlieues contrôlées par les révolutionnaires.
Ces mêmes quartiers accueillent par ailleurs, souvent dans les écoles et les jardins, des centaines et sans doute des milliers de réfugiés sunnites en provenance d’agglomérations détruites pour avoir autorisé la création chez eux de groupes armés destinés à assurer leur défense, ou pour avoir été incapables de leur interdire de s’installer parmi eux.
Enfin et surtout, ces tirs paraissent vouloir sanctionner collectivement les membres d’une communauté dont l’hostilité à l’égard des forces révolutionnaires, djihadistes compris, n’a rien à voir avec celle que leur vouent les membres de la communauté alaouite, engagés par milliers dans les forces militaires et paramilitaires. Or, étrangement, alors que les quartiers dont ceux-ci constituent la majorité de la population – Dahiyat al-Assad, à proximité immédiate de Harasta et de Douma – ou dont ils sont parfois les uniques habitants – Ouch al-Warwar, près de Barzeh – sont à portée de tirs, ils sont délibérément ignorés par les agresseurs…
Ceci fait dire à un jeune de Bab Touma, que, « sans vouloir dédouaner de ces attaques les brigades de l’Armée libre et les groupes islamistes, nous pouvons dire, en réfléchissant tant soit peu, qu’ils ne gagnent rien à prendre pour cible les chrétiens qui ne sont pas leurs adversaires et qui hébergent parmi eux des membres de leur communauté ». Avec d’autres, il partage la conviction que le régime n’est pas étranger à ces tirs, destinés à pousser les jeunes chrétiens qui refusent encore de se tenir au côté du pouvoir à prendre les armes et à se battre contre les « gangs armés » qui les bombardent pour les chasser hors de chez eux et les contraindre à fuir le territoire nationale. Il se demande enfin si ces bombardements ne sont pas aussi destinés à justifier l’appel au secours contre les terroristes récemment lancé par les chefs des églises chrétiennes en direction du Vatican et des Etats européens, et à permettre au pouvoir en place de bénéficier d’un soutien international supplémentaire dans la guerre qu’il mène contre son peuple tout en prétendant lutter contre les extrémistes.