Par Cyril Bensimon (avec Yann Bouchez)
Il y a dans les aveux de Lamine Diack de quoi nourrir un scandale d’Etat au Sénégal. En reconnaissant devant des enquêteurs français, comme l’a révélé Le Monde vendredi 18 décembre, qu’il avait couvert des athlètes russes soupçonnés de dopage en contrepartie de financements des campagnes de l’opposition sénégalaise en 2009 puis en 2012 par Moscou, l’ancien président de la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) ne pouvait ignorer l’impact de ses déclarations à Dakar. Il s’est d’ailleurs gardé de citer nommément les dirigeants politiques bénéficiaires de ces actes de corruption.
Dans les heures qui ont suivi la publication d’extraits de son audition, le vieil homme de 82 ans, passé par de hautes fonctions politiques au Sénégal avant de prendre la tête de l’athlétisme mondial puis de se retrouver mis en examen le 3 novembre pour « corruption passive » et « blanchiment aggravé », s’est employé à calmer la polémique et à dédouanerMacky Sall, au pouvoir depuis sa victoire de 2012 sur Abdoulaye Wade.
« En dehors du président en exercice, il y avait 13 autres candidats. Il y avait des jeunes qui s’étaient mobilisés et j’ai misé sur eux. Je les ai financés (…). Mais je n’ai pas financé un candidat particulier. (…) Je ne suis le copain de personne. Le président Macky Sall, je ne l’ai vu qu’après sa victoire contre Wade, pas avant », a déclaré Lamine Diack sur RFM, une radio locale. Ce dernier, contrairement à ce que plusieurs médias – dont Le Monde dans un résumé erroné – ont affirmé, n’a pas mentionné la campagne de M. Sall comme bénéficiaire de ces versements.
A l’en croire, ce sont tout d’abord « 400-450 000 euros pour la campagne » des élections municipales de 2009 marquées par la défaite de Karim Wade, le fils et héritier putatif d’Abdoulaye Wade, puis « environ 1,5 million d’euros » pour la présidentielle et les législatives de 2012 qui sont venus « nécessairement du gouvernement » russe.
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Démentis
Les démentis en provenance de Moscou ou de la présidence à Dakar n’ont été d’aucun effet sur le Parti démocratique sénégalais (PDS), qui n’attendait pas meilleure occasion pourattaquer le pouvoir sur le terrain de l’argent sale. Le parti « libéral » vit toujours dans l’ombre tutélaire d’un Wade père bientôt nonagénaire et se bat pour la libération de son fils condamné en mars à six ans de prison pour « enrichissement illicite ». « Nous demandons à Macky Sall qu’il nous dise s’il fait partie des opposants financés par l’argent du dopage et de la corruption », somme l’ancien ministre de la justice Amadou Sall, sans oublier de faire le détail de la déclaration de patrimoine de « ce chef d’Etat qui a promis une gestion vertueuse et transparente et qui a, avec son épouse, 35 véhicules immatriculés, une dizaine de villas dont un appartement à Houston ».
Oumar Sarr, le secrétaire général adjoint du PDS, a été interpellé samedi matin après avoir porté des accusations du même ordre et Massamba M’baye, le directeur du groupe D-Média, qui avait organisé un débat sur le sujet vendredi, a passé la journée suivante aux mains de la police. Nul doute qu’Abdoulaye Wade, depuis son pavillon versaillais où il s’est retiré, savoure en silence.
Si les propos de Lamine Diack sont avérés, reste une question : à qui ont profité les fonds en provenance de Russie ? Les options sont peu nombreuses, selon le politologue et éditorialiste Babacar Justin Ndiaye : « Poutine n’aurait pas voulu soutenir un second couteau et il n’y avait que quatre ténors de l’opposition en 2012 : Macky Sall, Ousmane Tanor Dieng, Moustapha Niasse et Idrissa Seck. » Les trois derniers cités ont soutenu le premier lors du second tour.
« Rétrospectivement, il apparaît que les électeurs avaient le choix (cornélien) entre une dynastie des Wade qui creuse la tombe de la démocratie et une alternative qui évapore la souveraineté nationale », analyse-t-il encore sur le site Dakaractu.com.
Selon les documents auxquels Le Monde a eu accès, à la question du juge Van Ruymbeke : « Avez-vous fait part de cette décision d’aide aux opposants ?
– Oui, en leur disant que l’aide venait des Russes », a répondu Lamine Diack.
« Ont-ils reçu l’aide ?
– Oui. »