Par Delphine Minoui, à Beyrouth.
Recherchée par la police secrète, cette jeune avocate syrienne de 34 ans milite dans la clandestinité pour dénoncer les exactions du régime de Damas. Malgré l’arrestation de son mari et malgré les menaces. Seul lien avec l’extérieur : Internet. Jointe par Skype, elle témoigne de sa détermination à porter jusqu’au bout la flamme de la liberté.
Elle parle d’une traite, sans point ni virgule. Trop pressée de dénoncer la « boucherie » orchestrée par Bachar el-Assad. « Si je me tais, qui le fera à ma place ? » s’enflamme Razan Zeitouneh, à l’autre bout d’une mauvaise connexion Skype, son unique lucarne sur le monde extérieur. À 34 ans, cette avocate damascène paie le prix fort de son engagement démocratique. En mai dernier, deux mois après le début de la révolte syrienne, son beau-frère puis son mari ont été arrêtés pour la faire taire. Sans nouvelle d’eux, la jeune insoumise vit désormais dans la clandestinité, changeant de cachette au gré des menaces qu’elle reçoit dans sa boîte courriel. Traquée par la police secrète, elle n’a pas vu la lumière du jour depuis des mois, et se contente de courtes sorties nocturnes, le temps d’une mini-course pour s’alimenter. Rien, pourtant, ne semble faire plier cette jeune icône de la contestation aux cheveux blonds comme le blé. « Aujourd’hui, le mur de la peur est tombé. C’est tout un peuple qui s’est réveillé et qui cherche à retrouver sa dignité. Assad est allé trop loin.
En moins de six mois, plus de 2 000 personnes ont été tuées et des milliers d’autres se sont retrouvées derrière les barreaux. Les Syriens n’ont plus rien à perdre. C’est le moindre de mes devoirs que de relayer le cri de leur révolte », confie Razan, portée par le courage de ces milliers de manifestants qui marchent vers la mort dès qu’ils descendent dans la rue.
Quand la révolte explose, à la mi-mars, Razan Zeitouneh s’avoue d’abord surprise par l’audace de son propre peuple. « Je pensais notre société figée à jamais. À force d’être surveillés et muselés, les Syriens avaient fini par s’enfermer dans une sorte d’apathie. Moi-même, j’étais convaincue que tout mon travail, en tant qu’activiste, ne changerait jamais rien. Et puis, l’exemple tunisien, puis égyptien, nous a redonné espoir », explique l’opposante. Sa révolte à elle démarre il y a bien plus longtemps. Un peu par hasard.
Le régime syrien
Née en 1977 en Libye, de parents syriens, elle grandit en Arabie Saoudite avant de rentrer, adolescente, à Damas. Férue de journalisme, elle rate les examens d’entrée à l’université et se replie sur le droit. En 2001, sa rencontre avec Haytham al-Maleh, un célèbre juriste, sera déterminante. Saisissant la brèche ouverte par le très éphémère « printemps de Damas », initié par le tout jeune président Bachar el-Assad, ils fondent ensemble l’Association syrienne des droits de l’homme. Ironie de l’histoire : quelques mois plus tard, Razan se retrouve à défendre les intellectuels et les dissidents brutalement arrêtés par le régime syrien. Commence, alors, le début d’une longue bataille de dix ans contre une justice arbitraire, machiavélique et corrompue. « C’est triste à dire, mais de tous les cas que j’ai défendus, je n’en ai gagné aucun », dit-elle. Soudain, les souvenirs remontent à la surface : « J’avais pris l’habitude de me rendre tous les dimanches au tribunal spécial de la sécurité nationale, où les prisonniers politiques étaient jugés.
Je n’oublierai jamais l’humiliation subie par les épouses, privées de visite et condamnées à faire le pied de grue pendant des heures sous un soleil de plomb ou sous la pluie dans l’espoir d’entrapercevoir leur fils, leur frère ou leur mari. Il leur arrivait même de se faire tabasser par les forces de l’ordre dès qu’elles cherchaient à trop s’approcher. »
Connue pour son franc-parler, Razan se retrouve, elle aussi, rapidement dans le collimateur des «mokhaberat », les services de renseignements. Chaque convocation équivaut à une vraie séance de torture psychologique. « Pénétrer dans le bureau des services, c’est comme entrer dans un tombeau. Tu ne sais jamais si tu en sortiras vivante », dit-elle. Mais ni les sermons de ses bourreaux, ni l’inquiétude de ses parents ne parviennent à avoir raison de sa fougue. Rapidement délaissée par la plupart de ses amis, qui lui reprochent son «inconscience», Razan sait, en revanche, qu’elle peut compter sur le soutien indéfectible de son mari, Wael al-Hamada. Employé dans une compagnie privée, c’est un fervent défenseur, comme elle, des libertés humaines. « En 2004, juste après notre mariage, il y a eu le fameux massacre des Kurdes de Qamishli. Avec Wael, nous avons passé notre lune de miel à enquêter sur cette ignoble tuerie », raconte-t-elle. Brusquement, un silence envahit la ligne Skype. « Au début du soulèvement, il a été le premier à m’encourager à poursuivre mes activités et à manifester. Aujourd’hui, je sais qu’il est en prison à cause de moi. Wael, c’est mon héros », reprend-elle.
Quid des promesses de réformes faites par le raïs de Damas ?
Depuis l’arrestation de son mari, elle ne participe plus aux manifestations. De sa cachette, elle passe ses journées et l’essentiel de ses nuits devant l’écran de son ordinateur, posé juste à côté de son lit. Connectée vingt-quatre heures sur vingt-quatre à Internet, un des principaux vecteurs de la contestation, elle contourne les filtres pour alerter la presse internationale sur la situation des opposants, tout en venant en aide aux familles des victimes de la répression. Parmi eux, plus d’une centaine de gamins, comme le jeune Hamza al-Khatib, 13 ans, dont le corps sans vie, mutilé, y compris au niveau des parties génitales, fut remis, en mai dernier, à sa famille, un mois après son arrestation. « Ce sont de véritables crimes contre l’humanité ! » s’insurge Razan. Elle-même avoue avoir renoncé depuis longtemps à avoir des enfants « à cause de l’environnement barbare et instable du pays ». Avant d’ajouter, sur le ton de l’ironie : « Quand je pense qu’Assad ose taxer les opposants d’extrémisme religieux… Si ceux qui réclament pacifiquement la démocratie sont des salafistes, alors nous sommes tous des salafistes ! » Quid des promesses de réformes faites par le raïs de Damas ?
Ce sont de véritables crimes contre l’humanité !
« C’est trop tard ! Nous voulons un vrai changement en profondeur, pas de simples mesures cosmétiques visant à satisfaire la communauté internationale », répond la jeune effrontée qui rejette tout compromis avec le pouvoir. Aujourd’hui, elle fonde ses espoirs dans le ralliement au mouvement de protestation de la classe marchande, restée jusqu’ici en retrait. « Avec le renforcement de la crise économique, il est possible qu’ils se mettent à soutenir notre révolution », dit-elle. Encouragée par la flamme de la contestation qui, de Deraa à Hama, est en train de déteindre sur la capitale, un des derniers prés carrés d’Assad, Razan est néanmoins consciente que la route qui mène vers la liberté est encore semée d’embûches. Y compris la sienne. « Je sais que si je suis arrêtée, je ne serai jamais libérée sous ce régime. C’est pourquoi j’essaie de participer au maximum à cette page exceptionnelle de l’histoire de la Syrie », souffle-t-elle.
Razan Zeitouneh, la frondeuse de Damas
excellent blog, à la fois riche en renseignements et charmante. Je vous remercie de rediger toujours autant. cordialement.
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Razan Zeitouneh, la frondeuse de Damas
Avec cette jeune femme, la révolution en Syrie a trouvé sa Mère Courage. Un souffle de révoltée authentique et puissant. Nul doute que cela, ça déplace des montagnes, bien plus que les bavassouilles misérables du clergé « chrétien-assadesque » de service (comme au Liban, d’ailleurs)!