Le Liban est aujourd’hui au bord de l’effondrement et les Libanais vivent, dans leur écrasante majorité, avec le sentiment accablant de leur impuissance à changer le cours des choses.
L’état des lieux au Liban et dans la région est effrayant :
1. Perpétration en Syrie d’un crime contre l’humanité qui a fait en trois ans près de 200 000 morts, un demi-million de blessés, 2,8 millions de réfugiés à l’extérieur du pays et 6,5 millions de déplacés à l’intérieur.
2. Afflux de réfugiés syriens qui représenteront fin 2014 plus d’un tiers de la population libanaise, aggravant les risques déjà présents d’une crise économique, sociale et sécuritaire de grande ampleur.
3. Transformation du conflit syrien en une guerre civile entre sunnites et chiites qui ravage déjà la Syrie, l’Irak et le Yémen, et menace tous les pays de la région, y compris le Liban depuis l’intervention militaire du Hezbollah en Syrie.
4. Échec des négociations israélo-palestiniennes et montée de l’extrémisme en Israël où se développe une nouvelle forme d’apartheid, porteuse de tous les dangers, comme en témoigne la guerre de Gaza, la troisième en trois ans.
5. Effondrement du système de valeurs qui rendait possible le vivre-ensemble entraînant une désocialisation galopante marquée par des comportements qui ne respectent plus ni les règles de la vie en société ni les lois qui préservent l’ordre public.
Deux éléments sont ajoutés à ce tableau déjà très sombre :
– Le premier est l’impuissance de l’État qui ne parvient même plus à assurer la continuité de ses institutions.
– Le second est l’incapacité de la communauté internationale à arrêter le massacre qui se déroule en Syrie depuis trois ans.
Pour éviter le pire qui nous attend, nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes.
Nous l’avons fait en 2005 quand nous sommes sortis de nos « prisons » communautaires pour nous retrouver tous ensemble à la place des Martyrs et lancer une « intifada de l’indépendance » qui a abouti au départ des troupes syriennes du Liban.
Pouvons-nous aujourd’hui initier une nouvelle dynamique, une dynamique de paix qui, si elle ne peut pas, à ce stade, arrêter la violence, pourrait du moins en limiter les effets et préparer le terrain à une « Intifada » pour la paix qui est devenue aujourd’hui la condition indispensable à la survie de notre pays ?
Je pense que nous pouvons le faire parce que l’écrasante majorité des Libanais, dans toutes les communautés, ne veut plus revenir à la guerre et que seule une minorité continue de croire au pouvoir de la violence, estimant qu’elle peut réussir là où tous les autres avant elle ont échoué.
Je pense que nous pouvons le faire parce que la violence a atteint un tel degré de barbarie que même ceux qui continuaient à la justifier commencent aujourd’hui à réaliser qu’elle a ouvert les portes de l’enfer, avec les villes de Syrie détruites à coups de barils d’explosifs, les massacres d’enfants à Gaza et les atrocités de Daech en Irak.
Que faire pour affronter la folie en cours ?
Il nous faut tout d’abord tisser des liens entre tous ceux qui, dans toutes les communautés, refusent la violence et sont prêts à mener ensemble la bataille contre tous les extrémismes.
Il nous faut aussi soutenir l’action de la société civile qui se mobilise à nouveau contre toutes les formes de violence comme en témoignent la lutte pour le mariage civil, le combat mené contre la violence faite aux femmes, les marches organisées à Tripoli pour mettre un terme aux affrontements communautaires, le travail de réconciliation entre d’anciens adversaires, officiers de l’armée et des Forces libanaises, la reconstruction, à l’initiative d’associations civiles, de zones détruites à Saïda et à Tripoli, les combats menés pour la liberté d’expression, l’appel de personnalités chrétiennes et musulmanes à la neutralisation du pays, etc.
Il nous faut également jeter les bases d’une nouvelle culture, une culture de la paix et du vivre-ensemble, qui puisse apporter une réponse à la question fondamentale qui se pose à nous tous, aussi bien au Liban que dans le monde arabe : comment « vivre ensemble » égaux dans nos droits et nos devoirs, différents dans nos multiples appartenances et solidaires dans notre recherche d’un meilleur avenir pour nous tous, chrétiens et musulmans ?
Il nous faut enfin tisser des liens avec toutes les forces modérées qui, dans le monde arabe, luttent contre l’extrémisme et l’intolérance.
« Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien. » Cette phrase d’un homme politique et écrivain britannique du XIXe siècle, Edmund Burke, résume très bien le problème auquel nous sommes aujourd’hui confrontés aussi bien au Liban que dans le monde arabe.
Il est temps pour « les gens de bien » d’assumer leurs responsabilités et de réfléchir ensemble sur les moyens de lancer une « intifada » de la paix pour tourner la page d’un demi-
siècle de guerres « chaudes » et « froides », et mener à partir du Liban la bataille de la paix dans toute la région.