La concomitance des trois évènements ne pouvait pas passer inaperçue. Trois maronites libanais parmi ceux qui occupent actuellement les feux de l’actualité ont quitté leur « refuge » quasiment au même moment pour une escapade en terre d’Islam. Mais que diable vont-ils chercher auprès d’un potentat archaïque, d’une « république » totalitaire et fascisante et d’une bureaucratie d’État fossilisée ?
Le jeu du premier, fraîchement élu président de la république, est tellement clair qu’il est facile de prévoir avant même qu’il n’ouvre la bouche la moindre de ses inflexions. Depuis avant son élection, il s’applique avec méthode et assiduité à parfaire son rôle de funambule sautant d’une corde à une autre au gré des vents et des tempêtes. Il n’offusque jamais personne, distribuant gratuitement et sans compter ses sourires niais aux puissants locaux et régionaux afin d’éviter leurs foudres et pour pouvoir trottiner aussi tranquillement que possible vers la fin de son mandat.
Le second, un Général atteint depuis longtemps de strabisme politique, passe son temps à cuver ses frustrations d’avoir à rouler inlassablement sa pierre sur la colline de Baabda et se retrouver bredouille en bas de la côte sans jamais se poser la question sur les raisons de ses échecs. C’est notre Sisyphe national. Parmi les trois, c’est le plus haut en couleurs. Ses sautes d’humeur et ses diatribes, ses tics nerveux et ses sourires furtifs sont un vrai régal pour le troupeau qui l’entoure et pour ses adversaires. Puisse Saint Maron nous le préserver de longues années encore !
Le troisième, un criminel de guerre repenti, s’applique à lisser son image de « mystique » entré en contrition permanente depuis qu’il a rencontré l’essence christique dans les nuits sombres de son cachot. Jamais, il ne se laisse aller à dire ou à faire ce qui pourrait laisser douter de sa repentance sincère. Et pourtant, la figure tenace du « seigneur de guerre » le poursuit comme un damné. Son désir d’acquérir une nouvelle légitimité et de convaincre les Libanais de sa réelle métamorphose a toutes les allures d’une quête impossible.
Nos trois maronites ont donc pris leur bâton de pèlerin et sont allés quérir auprès des puissants régionaux un appui politique, ou financier (les deux, sans doute) pour conforter leurs positions respectives et remplir leurs caisses en prévision des batailles à venir. Leur représentativité au sein de leur communauté est sujette à moult controverses et supputations et leurs poids respectifs ne seront connus qu’au printemps prochain qui verra se dérouler « la mère de toutes les batailles » électorales.
En effectuant ces pèlerinages, ils ne dérogent pas à la règle qui régit depuis des siècles les relations entre les communautés libanaises et les puissances régionales et internationales. Ces communautés se sont toujours tournées vers le monde extérieur afin de quémander la protection qu’elles croyaient nécessaire pour faire prévaloir leurs intérêts dans le jeu interne. Malin celui qui serait d’ailleurs capable de séparer l’endogène de l’exogène dans un pays devenu au fil du temps le réceptacle par excellence des enjeux antagonistes.
Toutefois, les maronites possèdent une singularité qui les distingue de tous les autres Libanais. Promoteurs d’un Liban indépendant, créé d’abord pour eux et grâce à leur concours, ils sont entrés dans une phase de désarroi existentiel depuis que les communautés musulmanes se sont coalisées pour mettre fin à leur « hégémonie ». Leurs divisions et leurs luttes intestines ininterrompues ont accéléré la perte de leur aura d’antan. Si l’on ajoute le déclin démographique, on comprend aisément pourquoi ils se sentent aujourd’hui comme la cinquième roue du carrosse après avoir été la principale force motrice du pays.
Aussi, la « pureté » maronite n’est plus de mise. Par instinct de survie et pour préserver ce qui peut encore l’être, les maronites sont donc obligés de « mâtiner » cette « pureté » d’une dose importante d’islam. C’est la raison pour laquelle nos trois pèlerins ont choisi de s’acoquiner avec la branche de l’Islam qui leur paraissait la mieux à même de servir leurs intérêts.
Force est de constater qu’ils ont réussi à se partager le travail sans même se concerter et c’est ainsi que les Libanais se retrouvent pour la première fois de leur histoire avec sur les bras un maronite alaouite, un maronite chiite et un maronite sunnite.