Qu’est-ce qui fait qu’un tyran décide à un moment donné de mettre sa sauvagerie en veilleuse, de surseoir à ses attentats en série et de se métamorphoser en un homme « affable »? Soit il se sent isolé et cherche une échappatoire, ou bien il considère qu’au contraire, il a assez de cartes en main pour pouvoir imposer à ses adversaires de négocier selon ses propres conditions.
Le dictateur syrien a astucieusement résolu le dilemme en fusionnant les deux termes de l’alternative. Il rompt son isolement, mais sans dilapider ses atouts. À la main qui lui a été généreusement tendue par Sarkozy, il a répondu chichement en annonçant sa décision d’établir des relations diplomatiques avec le Liban. Juste ce qu’il faut pour amadouer le nain français, le conforter dans sa méprise et l’attirer davantage dans ses filets (le voyage à Damas est déjà programmé).
Qui se souvient encore des assassinats et autres attentats? Personne, hormis les rescapés et les familles de victimes. L’heure est à la concorde et aux relations éternellement « fraternelles et privilégiées ». Au lieu de remuer un passé qui fâche, les Libanais devraient s’estimer heureux que le tyran ait daigné suspendre la série. Alléluia! Chantons les louanges de l’assassin bienfaiteur.
Du coup, le bilan apparaît éloquemment simple: Je vous tue jusqu’à ce que vous cédiez et une fois que vous avez cédé, nous rebâtissons l’avenir commun selon mes propres conditions. De toute façon, c’était à prendre ou à laisser. À vous de choisir! Le président libanais l’a parfaitement bien compris. En allant à Canossa, il avait déjà fait son choix. Entre se mettre à plat ventre ou se retrouver à la morgue, pouvait-il hésiter une seule seconde?
Que le président « consensuel » soit mû par son instinct de survie est chose compréhensible. Être ou ne pas être? Pour lui, c’était la seule vraie question. Soit, mais être quoi?
En se pavanant sur le tapis rouge à Damas, Michel Sleiman était aux anges. Non pas d’échapper à la tronçonneuse syrienne, il avait tout fait pour l’éviter, mais d’avoir si gentiment été adoubé par le dictateur (ses remerciements, à la Syrie et à son président pour avoir facilité son élection, ne se comptent plus). Et, ce n’est pas rien que d’avoir été « préféré » à tant d’autres candidats. C’est là qu’est l’exploit, n’est-ce pas?
Partant de là, notre homme était prêt à avaler toutes les couleuvres et même à en redemander. De sa visite « historique », il revient les mains vides sauf de la maigrelette ambassade (dont le rôle exact comparé à celui du Conseil supérieur syro-libanais demeure des plus incertains) et aussi d’avoir été élevé au rang d’interlocuteur « privilégié et unique ».
http://heuristiques.blogspot.com/La « lahoudisation » de Sleiman a bel et bien commencé!
Ainsi va la vie à Canossa! on s’y rend à plat ventre et l’on en revient la tête haute, sans l’ombre d’une honte ou d’un regret. Que les demandes libanaises aient été toutes déboutées, le président libanais n’avait pas à s’en formaliser. Il lui suffit d’avoir réussi à calmer pour un laps de temps les appétits de l’ogre à jamais assoiffé de vindicte. Alléluia de nouveau, mais en chœur cette fois-ci!