L’intervention militaire russe en Syrie survient dans un contexte régional et international favorable à un compromis politique sur la crise syrienne. En précisant éventuellement les bases des rapports arabo-iraniens, ce compromis serait la clé de voûte des solutions régionales.
L’intervention russe vient combler, dans un premier temps, les défaillances militaires avérées de Téhéran et son incapacité à protéger le régime, selon des sources diplomatiques, qui font état d’un échec des gardiens de la révolution iranienne (les pasdaran) et du Hezbollah à vaincre les groupes de l’opposition et à sécuriser, entre autres, des positions dans le Golan, aux frontières avec Israël. D’ailleurs, l’intervention russe aurait fait l’objet d’une coordination préalable entre Moscou et Téhéran, ce dernier reconnaissant son échec, assurent des sources occidentales.
En assurant le renflouement militaire du régime syrien, la Russie obéit, certes, à son souci premier de maintenir le régime en place (ce facteur étant une carte de pression supplémentaire au niveau des négociations). Mais sa stratégie dépasse le cadre strict du soutien au régime et épouse un nouveau rôle que Moscou serait habilité à remplir, celui de médiateur dans le conflit.
Cette perspective de médiation, soutenue tacitement par les puissances internationales et régionales, est favorisée par l’équidistance que la Russie a habilement entretenue avec les différentes parties prenantes au conflit syrien.
C’est ce que relèvent les observateurs diplomatiques, qui reviennent sur l’ambivalence de la position russe, depuis le déclenchement du conflit syrien.
D’une part, Moscou a pris à sa charge de défendre le régime syrien dans les couloirs diplomatiques, et d’autre part, il a réussi à tisser des liens étroits avec l’Arabie saoudite en marge des négociations sur le nucléaire iranien. Des liens marqués par des rencontres régulières des responsables russes et saoudiens, que doit consacrer, avant la fin de l’année courante, une visite officielle du roi Salmane à Moscou. La Russie a gagné la confiance du régime syrien et a rassuré l’opposition, qu’elle avait tenté de réunir dans une même délégation pour prendre part à Genève III ou Moscou III.
De même, la crispation des rapports de la Russie avec l’Occident sur fond de crise ukrainienne n’a pas empêché la mise au point d’une entente russo-américaine sur les lignes directrices d’une solution régionale.
L’appui des Occidentaux à la Russie émanerait de leur réticence à envoyer leurs troupes sur le terrain syrien, par crainte d’une réédition du scénario irakien. Le déploiement russe sur le terrain, et son engagement à lutter contre l’Etat islamique, en partenariat avec des forces égyptiennes et arabes, leur sied donc parfaitement.
En contrepartie, ce partenariat russe ne peut que convenir à l’Arabie saoudite, en ce sens qu’il semble effacer les velléités iraniennes de parrainer la solution en Syrie. Selon un observateur politique occidental, la présence russe en Syrie a carrément éclipsé le rôle iranien, fort contesté par l’Arabie saoudite et la Turquie notamment. La Russie a donc réussi à transcender le conflit arabo-perse qui s’est exacerbé en Syrie. Preuve en est l’absence de toute opposition ou critique, arabe ou occidentale, à son intervention militaire.
Loin d’être perçue comme une démarche de défiance, celle-ci serait le prolongement d’une volonté régionale et internationale sérieuse d’une solution à la crise syrienne.
L’attitude de Moscou n’est pas non plus une attitude de défiance à l’égard de Téhéran mais elle vise à consacrer la capacité de la Russie à équilibrer les rapports entre l’Arabie et l’Iran.
D’ailleurs, c’est avec prudence que Moscou entend mener son intervention militaire : selon des sources diplomatiques occidentales, la Russie est consciente des équilibres régionaux. Bien qu’ayant déployé ses forces sur le littoral syrien, elle évite de s’impliquer militairement dans le pays, au risque de compromettre son rôle de médiateur, mais aussi d’éviter la réédition de son expérience afghane. Elle éviterait surtout toute confrontation avec l’État islamique, par crainte d’en subir les retombées immédiates sur son territoire national.
Et c’est là un point de divergence entre Moscou et ses interlocuteurs arabes et occidentaux.
Si l’intervention russe s’aligne sur une stratégie diplomatique vers un compromis en Syrie, elle obéit d’abord à l’agenda de Moscou.
Tout en sécurisant sa base militaire à Tartous, l’intervention de l’armée russe contribue à rassurer les minorités, notamment alaouites, face à l’expansion des groupes fondamentalistes.
Favorisé par la passivité occidentale et arabe en Syrie, le renforcement du rôle russe risque toutefois d’être politiquement coûteux. Des sources autorisées disent en effet craindre que l’intervention russe ne prélude à une partition du territoire syrien, sur des bases communautaires.
Toutefois, les risques de ce scénario sont pour l’instant tempérés par une volonté occidentale de maintenir les frontières actuelles, quitte à modifier les modes de gouvernance du pays.
Les négociations semblent s’orienter vers un compromis incluant la présidence de Bachar el-Assad. Une période de transition de six mois serait envisagée, au cours de laquelle ce dernier remplirait des fonctions protocolaires, préalablement à la tenue de nouvelles législatives et d’une présidentielle, en vertu de nouvelles lois élaborées par un cabinet de transition.
Ce que le président syrien peut donc espérer tirer des négociations, avec l’appui russe, est la garantie de son immunité judiciaire après son départ.