Le réveil européen vis-à-vis de la Chine est récent et encore fragile. Comme l’est celui de la France. C’est à un moment de grandes tensions internationales qu’Emmanuel Macron se rend en Chine, dans l’espoir de pouvoir influencer la politique russe de Xi Jinping et d’obtenir des contrats pour les entreprises françaises. Alors que la compétition entre la Chine et les États-Unis menace de virer à la confrontation dans les années qui viennent, la France ambitionne de porter une autre voix que celle de Washington dans sa relation à Pékin. « Nous n’avons pas les mêmes positions que les États-Unis vis-à-vis de la Chine, parce que nous n’avons pas les mêmes intérêts », résume l’Élysée. Paris ne veut pas être emporté par le tourbillon qui s’annonce en Indo-Pacifique et veut « reconnecter » avec la Chine après trois ans de parenthèse dans les relations à cause du Covid.
Emmanuel Macron a demandé à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, de l’accompagner à Pékin, confirmant ainsi qu’il inscrit toujours la relation bilatérale franco-chinoise dans le cadre européen. Face au régime chinois, l’Europe est plus forte que la France seule.
Alors que le président français a parfois été critiqué par ses partenaires qui le considèrent comme un partisan naïf de la conciliation avec Pékin, comme il l’était avec la Russie, Ursula von der Leyen a prononcé le 30 mars à Bruxelles un discours sans concession, à la fois clair et réaliste. Depuis qu’en 2019 la Commission européenne avait qualifié la Chine de « partenaire, concurrent et rival stratégique », l’Europe a durci le ton. Constatant que « l’objectif clair du Parti communiste chinois est un changement systémique de l’ordre international, focalisé sur la Chine » et que la Chine a tourné la page des réformes, qu’elle s’est radicalisée et a adopté une posture agressive sur la scène mondiale, la présidente de la Commission veut muscler la position européenne. Mais elle ne veut pas de rupture économique avec la Chine, qui représente 20 % des importations de l’Union. Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron sont d’accord pour engager une politique de « réduction des risques », notamment économiques, vis-à-vis de la Chine, plutôt qu’une solution de « découplage » demandée par les Américains.
Le sujet ukrainien, devenu un « élément structurant » de la politique étrangère française, sera au cœur de la visite d’Emmanuel Macron. « La guerre en Ukraine est devenue le premier théâtre de la confrontation indirecte active entre les États-Unis, qui soutiennent militairement les Ukrainiens avec leurs alliés européens, et la Chine, qui aide la Russie politiquement et économiquement », note Marc Julienne dans une étude de l’Ifri consacrée au sujet. Depuis novembre 2022, le président français espère engager Pékin à jouer un rôle de médiateur dans le conflit. « Il s’agit là d’une mécompréhension de la position de la Chine sur l’Ukraine, que l’on a d’ailleurs observée chez d’autres dirigeants européens », commente Marc Julienne. Dans un article coécrit avec Tatiana Kastoueva-Jean, il poursuit : « Les tentatives de plusieurs dirigeants européens d’aller chercher à Pékin une solution à la guerre d’Ukraine sont non seulement illusoires, mais elles contribuent de surcroît à alimenter le discours de la Chine qui se présente comme un acteur pacifiste et constructif, tout en soutenant la Russie… Il est urgent de prendre acte de la véritable position chinoise et de dénoncer ses ambiguïtés et ses contradictions. »
« Décision funeste »
Paris espérait convaincre Xi Jinping, bien qu’il n’ait jamais dénoncé l’agression de la Russie, d’exercer son influence sur Vladimir Poutine pour le pousser à une issue négociée du conflit. Mais l’illusion d’une Chine « neutre » et médiatrice a volé en éclats depuis la visite en grande pompe de Xi Jinping à Moscou, qui a confirmé et renforcé l’axe Pékin-Moscou, faisant de la Chine un soutien clair de l’invasion russe en Ukraine.
Depuis, la France a adapté son discours. Elle veut désormais surtout éviter toute « décision funeste » de Pékin qui viserait à soutenir Moscou militairement et aurait des effets stratégiques majeurs sur le conflit. Mais Emmanuel Macron n’a pas pour autant renoncé à son objectif initial. Il espère toujours ouvrir avec le président chinois un « chemin » qui permette « de trouver une solution à la guerre à moyen terme ». « La Chine est l’un des rares pays au monde, si ce n’est le seul, à avoir un effet “game changer” sur le conflit, dans un sens comme dans un autre. » Mais la plupart des experts doutent des capacités de la France et de l’UE à faire bouger les lignes du régime chinois et à obtenir des résultats concrets sur le dossier ukrainien.
D’autant que derrière la façade, la position des pays européens n’est pas aussi unie. « Bien que l’UE renforce progressivement sa politique chinoise depuis 2019, il semble que tous les dirigeants européens, en particulier à l’ouest, n’aient pas encore acté la volonté de Pékin de remodeler l’ordre international selon des principes contradictoires avec les valeurs fondamentales de l’UE, comme l’État de droit et les droits humains », poursuit Marc Julienne.
L’Union européenne n’a pas encore réussi à affirmer un modèle qui lui permette de résister aux pressions américaines en faveur d’un découplage avec la Chine. Les grandes capitales sont divisées sur le sujet. Elles sont parfois en concurrence, comme lorsque le chancelier allemand Olaf Scholz s’est rendu seul à Pékin en novembre 2022. Tout en appelant à la diversification, Berlin refuse d’ouvrir un second front avec la Chine, après le choc de l’invasion russe de l’Ukraine, qui a entraîné l’Allemagne à revoir entièrement sa politique russe. En 2019, elle représentait 48,5 % des exportations de l’UE vers la Chine. Elle a récemment cédé un terminal du port de Hambourg au groupe chinois Cosco. « L’Allemagne va-t-elle reproduire avec la Chine les mêmes erreurs qu’avec la Russie ? », s’interroge un diplomate français. En Europe orientale, certains pays se sont au contraire éloignés de Pékin pour protester contre son soutien à l’agression russe de l’Ukraine. Mais d’autres États européens notent au contraire que la guerre en Ukraine a aussi remis en perspective le rôle des États-Unis dans la sécurité du continent.
Les postures d’équilibres des pays européens, déjà fragilisées par la position prorusse de la Chine, par ses provocations en mer de Chine et ses atteintes aux droits de l’homme, risquent d’être mises à mal en cas de crise ouverte avec Taïwan. Enfin, Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron doivent affronter la poussée du camp antidémocrate sur la scène internationale. « La Chine mise sur l’attraction de son modèle – autoritarisme politique et croissance économique – et exploite la fatigue du “Sud global” face à des puissances occidentales déclinantes et “donneuses de leçons” » écrivent les spécialistes Céline Pajon et Jérémy Bachelier dans la même étude de l’Ifri.
Tout est une question de dosage. « L’agenda de la France et de l’Union européenne ne doit être ni dirigé contre la Chine ni aligné sur les États-Unis. Il doit être concentré sur eux et sur leurs intérêts. Ce n’est pas une troisième voie, mais la voie de la France et de l’UE », explique Antoine Bondaz, spécialiste de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
LE FIGARO