Le voile; hijab ou khimar; est sensé protéger la femme de la convoitise des hommes. Sa fonction est d’occulter le corps féminin parce qu’il recèle une énergie de nature érotique, dangereuse quand elle n’est pas quadrillée et gérée par la société. Cette force c’est la fitna. Cette dernière est dangereuse aussi bien pour les hommes que pour la société car elle éveille le désir, cette énergie périlleuse à travers laquelle peut se manifester la force de Satan. Satan est d’ailleurs surnommé le fattan, c’est-à-dire le séducteur, parce qu’il détourne le paisible croyant des voies d’Allah.
Dans l’imaginaire de l’orthodoxie musulmane, le voile islamique est donc le rempart contre Satan. La femme voilée, invisible, sombre, informe, innocente renforce l’ordre établi dans la cité islamique.
Le voile est par conséquent considéré comme l’antithèse de la séduction, la fitna, qui lance un défi à la loi, à la norme disciplinaire qu’elle agace, ravisse, intrigue surprenne, démobilise.
Aujourd’hui, les temps changent, tout bascule, la logique capitaliste exige que la féminité soit exposée. La dictature de la marchandise ordonne que la circulation du corps féminin soit obligatoire, elle révolutionne le voile !
En effet, si nous analysons l’historique des batailles du voilement et du dévoilement des femmes en terre d’islam nous remarquons que le dévoilement des femmes est un phénomène qui s’est diffusé depuis l’aristocratie vers les couches inférieures de la pyramide sociale. Les premières féministes musulmanes qui ont refusé le voile faisait partie de l’élite : Aicha bent talha petite fille du deuxième calife, le vénérable abu bakr, Sukeina bent el Hussein, le martyr de Karbala ont revendiqué le droit de sortir « barza » c’est à dire dévoilées. Au début du XXe siècle, Houda Charrawi, Saphia Zaghloul, Nadhira Zenidine en Égypte, Manoubia Ouertani en Tunisie, ont mené la bataille du dévoilement dans leurs contrés. Elles ont été un modèle pour des milliers de femmes musulmanes! Maintenant nous assistons à une « remontée » du voile. Les vagues du “revoilement”, depuis la fin du XXe siècle, se diffusent depuis les catégories les plus défavorisées, dans les bidonvilles du Caire ou de Casablanca, se généralisent dans les classes moyennes surtout dans les universités s’infiltrent dans la haute bourgeoise. Le voile qui cristallisait, au début, un refus de la société de consommation ostentatoires, se transforme, lui-même en une mode vestimentaire. Il déborde de son cadre initial. Il a dépassé son premier rayon d’action pour désormais toucher les classes les plus privilégiées et les femmes les moins dépourvues de droits! Le voile frappe même à la porte des stars de cinéma et des présentatrices de télévision. En effet, le hijab hyper médiatisé des célèbres actrices égyptiennes influence des milliers d’adolescentes musulmanes en quête d’identité et confrontées au problème de la construction du soi. Quant au voilement de la vedette de la télévision Al Jazira ; Khadija ben Ganna dont l’image est diffusée dans chaque foyer, il a ravagé le paysage des écoles de journalisme égyptien dont les étudiantes sont désormais toutes voilées. Même notre poète Adonis a succombé à son charme! Le ténor de la modernité littéraire arabe qui affirmait que « Les interprétations religieuses qui imposent à la femme musulmane le port du voile, dans un pays laïque révèlent une mentalité qui ne se contente pas de voiler les femmes mais désire profondément voiler l’homme, la société, la vie dans son ensemble et voiler la raison», déclare que Khadija est devenue plus sexy en se voilant!!
En Turquie kémaliste, le voile a passé la dernière frontière, il a transgressé le dernier carré des résistantes : les premières dames du pays!
Voiles et stratégies de séduction
Le message du voile islamique est ambivalent : Le voile est polysémique et porte en lui un paradoxe, car il est ce qui sépare, ce qui exclut mais aussi ce qui protège, il est ce qui cache et tout autant ce qui attire le regard car tout interdit de voir contient le désir irrépressible de transgresser et donc de regarder. Et puisque ce qu’il faut soustraire au regard est tellement désiré, et à la fois excessivement dangereux, autant en faire une monnaie d’échange, toute enrobée de l’ambiguïté du secret et du visible, de l’innocence et de la séduction.
Il suffit pour se rendre compte de ces paradoxes d’aller dans l’un des bazars des « tenues islamiques » ou de feuilleter les magazines de modes féminines orientales. Des stylistes virtuoses et des commerces florissants proposent différents modèles de voiles islamiques, accompagnés de tous les accessoires et petits détails qui y sont attachés. Vous remarquerez à quel point tous ces accessoires sont fascinants. Les broches en or et en argent serties de perles ou de brillants et les bandeaux tressés en fils de soie dorés rivalisent de beauté.
Les tissus des hijabs sont des plus nobles: les voiles mélangent taffetas et mousseline, satin et organza, on crée, on superpose, on s’amuse! Les couleurs sont chatoyantes : orange et vert pistache, elles sont à elle seule un maquillage éclatant! On associe les teintes, on joue sur les nuances : bois de rose, rose et rose pale, ou sur les contrastes : le noir et le blanc qui mettent en valeur le teint clair du visage!
Les djellabas longues et ajustés affinent les silhouettes, les tailles sont marquées, les talons hauts et fins font basculer la démarche et ébranlent les regards. L’allure générale est flottante et énigmatique! Et vous vous apercevrez que certaines femmes voilées sont très séduisantes. Manifestement, leur sortie leur a demandé un soin extrême pour parvenir à un tel niveau de charme et de séduction, visant à attirer les attentions masculines et à susciter la perdition des hommes; leurs désirs. Ce désir qui fait horreur!
Nous pouvons nous interroger sur les origines de la terreur du désir que nous retrouvons chez l’orthodoxie religieuse.
Le désir est une atteinte au narcissisme et au fantasme stérile de la toute puissance. Il nous rappelle brutalement que nous dépendons du désir de l’autre. Il met en question nos illusions d’autosuffisance et de maîtrise absolue. Il nous rappelle la tendre fragilité de la condition humaine où Tout est interdépendant de Tout comme nous l’ont enseigné le soufisme et la physique quantique ! Le désir évoque la « castration symbolique », condition de l’acceptation pour chacun, femme ou homme, de sa limite, de sa vulnérabilité, de sa faiblesse et de sa nécessaire dépendance de l’autre. Le désir suscite, en outre, dans le jeu de la séduction l’alchimie de la parole, la magie du verbe, l’ivresse de la poésie bannies par l’orthodoxie.
Le voile satanique est donc un anti-hijab. Car le hijab authentique se doit de protéger les femmes du regard des hommes et d’annihiler totalement leur pouvoir de séduction, en décrétant la vertu généralisée dans la rue musulmane. L’orthodoxie se noie dans ses bégaiements et ses balbutiements : les grands oulémas commencent à scruter les faux hijab, à disserter sur la longueur, la matière, la taille, la couleur du vrai hijab!
Leurs polémiques négligent la dimension individuelle, singulière du voile.
Les jeunes filles et les femmes qui aujourd’hui affichent leur volonté de se voiler témoignent bien, derrière l’invocation de prescriptions religieuses, de la complexité de motivations inconscientes et sans doute contradictoires.
Le port du voile est toujours le signe de trajectoires personnelles. Certaines femmes s’en débarrassent, les autres le mettent à un moment de leur histoire.
Le voile trahie parfois des stratégies matrimoniales, c’est un message codé, un signe qui exprime la volonté de s’assagir, le désir de fonder une famille, d’inaugurer une nouvelle existence.
Le voile est souvent un rite de passage, on se voile au retour du pèlerinage, hajj ou omra, ou après la naissance d’un enfant tant désiré!
Le hijab est aussi un signe ostentatoire, une stratégie de visibilité sociale pour une catégorie sociale de la nouvelle bourgeoisie que nous apercevons au bord des grosses cylindrées et que nous découvrons, nombril en l’air dans leurs demeures! Ces femmes, pour la plupart, anciennes résidentes des pays du golf sont reconnaissables par leurs lunettes noires et l’élégance de leur look!
Souvent le voile n’est qu’un symptôme d’un travail sur soi. Beaucoup de musulmanes voilées ne se reconnaissent nullement dans les organisations politiques islamistes. Elles ne sont guère consciente des enjeux politiques et sociaux du hijab. Elles ne demandent qu’à assumer leur individualité dans le respect des libertés individuelles et collectives à pratiquer une religiosité privée, non étatisée!
Comme le dit Edward Saïd, la culture européenne s’est renforcée et a assuré son identité en s’opposant à l’Orient relégué dans la catégorie de « l’autre ». Et c’est la situation de la femme par rapport à son corps, aux autres femmes et surtout aux hommes, qui est le point d’orgue de cette stigmatisation. A cet égard, le voile peut apparaître, aujourd’hui, comme le lieu privilégié pour l’étude d’indices laissant entrevoir le dépassement des oppositions binaires entre Orient et Occident, islam et modernité. Toutefois le voile interroge toujours l’organisation psychique, la sphère culturelle, sociale et politique des individus. Il nous engage à réapprendre l’art de la délibération afin de mieux le saisir.
ahikbal@yahoo.fr
* Tunis
Le voile satanique ou la tentation de l’innocence!
je souhaite que vous peuvez m`aider de trouver des information autour « la mentalitè fransaise vers l`islam »