Le choix du nouveau primat à l’ombre de l’Église russe tourne au thriller géopolitique.

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La procédure d’élection du nouvel archevêque de Nicosie et primat de Chypre est pour le moins surprenante. L’Église de Chypre, juridiction autocéphale de l’Église orthodoxe depuis 431, dispose d’une procédure digne d’une élection présidentielle. Dimanche 18 décembre, 546 793 fidèles chypriotes enregistrés sur les listes ­ecclésiastiques électorales étaient appelés aux urnes, dans 942 centres, pour se prononcer parmi les six candidats en lice pour remplacer Mgr Chrysostomos II, décédé le 7 novembre 2022.

Dès l’ouverture des urnes, à 10 heures – après la messe dominicale – les médias couvraient l’événement à la manière d’un scrutin politique, mobilisés toute la journée. Puis à 20 heures, ils ont donné les premières estimations à la sortie des urnes. Trois candidats sont arrivés en tête, avec pour participation un tiers des électeurs (30,05 %) : l’archevêque de Limassol, Mgr Athanasios, celui de Tamassos, Mgr Isaiah, et celui de Paphos, Mgr Georgios. Tous les trois, vêtus d’une soutane noire et portant une barbe blanche, sont à présent soumis au vote de la communauté du Saint Synode des archevêques de l’île. Le nom de l’élu sera annoncé « la veille de la nouvelle année, si tout se passe bien », tempère un prélat. Car derrière le côté ubuesque de la procédure, les enjeux sont de taille.
Dans le classement du magazine américain Forbes, l’Église de Chypre fait partie de la liste des entités les plus fortunées du monde, riche de biens immobiliers, de fonds d’investissement, de nombreuses entreprises privées affichant des chiffres d’affaires de plusieurs millions d’euros (dont un actionnariat dans des banques ou la brasserie nationale). « Des comptes en banque dépassant le PIB chypriote, qui atteint les 27 milliards d’euros. L’Église de Chypre n’est certes pas le Vatican, parce que bien au-delà », commente Spyros Sideris, analyste des Balkans, spécialiste des relations ecclésiastiques. « L’archevêché chypriote est bien plus influent que celui de Grèce, tant sur la classe politique que sur la vie publique. C’est cette puissance omniprésente qui en fait une pomme de discorde, parce qu’il a un avis sur tout et ­notamment concernant le problème chypriote. »

Terre d’asile des Russes

L’île est divisée depuis 1974, après l’invasion du quart Nord de l’île par l’armée turque. Depuis, des négociations patinent sur une ­solution entre les deux entités – celle du Nord, non reconnue par la communauté internationale, et Chypre. « En 2005, lorsque les Chypriotes devaient se prononcer, des deux côtés de la ligne verte (séparant les deux parties de l’île et gardée par les Casques bleus, NDLR), pour le plan Annan de l’ONU en vue d’une réunification, feu l’archevêque Chrysostomos militait contre, reprend Spyros Sideris. Aujourd’hui, l’enjeu est l’influence de l’Église orthodoxe de Russie sur l’Église chypriote. » Considérée comme terre d’asile des Russes, grâce aux passeports dorés qu’elle leur procurait, moyennant l’achat d’un bien immobilier de 500 000 euros, la République de Chypre présente une population à près d’un tiers russophone. ­Plusieurs oligarques possèdent des sociétés qui s’étendent dans le monde entier. Au total, plus de 100 milliards d’euros venant d’entreprises russes transitent annuellement par les banques chypriotes. Si les passeports en or sont aujourd’hui révolus, l’immixtion russe reste un sujet suivi de près par l’Église orthodoxe grecque, par le gouvernement chypriote mais aussi par Athènes, la Commission européenne et même le Département d’État de Washington.
Car les trois prélats élus semblent soutenir les positions du ­Patriarcat de Russie. Et c’est là l’enjeu. Le premier, grand favori des sondages depuis plusieurs ­semaines, et le deuxième se sont d’ailleurs dressés ouvertement contre la procédure d’indépendance de l’Église d’Ukraine, soutenue par le Patriarcat orthodoxe grec Bartholomée Ier.
Les dés semblent jetés à présent, et étonnamment, quels que soient le résultat et la personnalité de l’élu, le gouvernement chypriote semble laisser faire, malgré ses craintes d’une orthodoxie pro russe sur l’île. « Il y a le poids économique que représente la Russie évidemment, mais également le besoin ­désespéré de trouver des alliés », affirme Spyros Sideris. « Nicosie veut maintenir un équilibre géopolitique et géostratégique face aux menaces quotidiennes venant d’Ankara, des actions de plus en plus belliqueuses avec les violations d’espaces maritimes notamment. Sans le dire officiellement, le gouvernement chypriote préfère avoir de bons rapports avec Moscou », même si Chypre s’aligne, comme les autres pays européens, sur les sanctions contre la Russie. Il faudra ainsi composer avec cette nouvelle donne ecclésiastique dont les faits et gestes ­seront scrutés par la communauté internationale.

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Anna Santafianou
Anna Santafianou
1 année il y a

Vos informations sont erronées. Un tiers de russophones ? D’où sortez vous ce chiffre ? Je suis chypriote et je ne connais même pas une personne sur 100 qui comprend le russe, qui le parle encore moins . Et le nouvel Archevêque, Georgios, est pour l’indépendance de l’église ukrainienne. Son élection est bien moins obscure que celle du Pape puisque le peuple y a participé. Les chypriotes doivent leur survie culturelle et politique en grande partie à leur Église. Chypre est le seul état européen dont une grande partie de son territoire est occupée militairement par la deuxième plus grande… Lire la suite »

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