ANALYSE – Si le roi Salman a dû céder à son fils sur de nombreux dossiers, il est resté, en revanche, inflexible sur celui de la paix israélo-palestinienne.
Jusqu’à quand l’Arabie saoudite refusera-t-elle d’établir des relations diplomatiques avec Israël? Tant que le roi Salman sera sur le trône, répondent la plupart des experts, au lendemain de la cérémonie à la Maison-Blanche au cours de laquelle ses alliés émiriens et bahreïniens ont officialisé, sous les auspices de Donald Trump, une nouvelle ère de paix avec l’État hébreu.
Son fils, le prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS), est, lui, un chaud partisan du rapprochement avec Israël, et il ne s’en cache pas. À plusieurs reprises, ces dernières années, MBS a déclaré qu’Israël devait être accepté au Moyen-Orient, tout en dénonçant les erreurs de calcul des dirigeants palestiniens, qui n’ont, selon lui, «jamais manqué une occasion de rater la paix», antienne de la propagande israélienne.
Si Salman, âgé de 85 ans et diminué physiquement, a dû céder à son fils sur de nombreux dossiers, il est resté, en revanche, inflexible sur celui de la paix israélo-palestinienne. À plusieurs reprises, le monarque a rappelé la position traditionnelle de l’Arabie, depuis l’initiative de paix arabe portée par son prédécesseur le roi Abdallah en 2002, basée sur le «consensus arabe». Vingt pays arabes avaient alors offert la paix à Israël ; en échange, l’État hébreu devait consentir à la création d’un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale, ce qu’il avait refusé. Ce consensus arabe vient de voler en éclat: en un mois, les Émirats arabes unis, puis le royaume de Bahreïn ont établi des relations diplomatiques avec Israël. Mais le poids politique de ces deux pays est infiniment moindre que celui de l’Arabie, royaume aux spécificités propres.
La très pieuse Arabie abrite, d’abord, les lieux les plus saints de l’islam – La Mecque et Médine – et son roi en est le gardien, ce qui lui donne une responsabilité particulière. Y compris vis-à-vis du troisième lieu le plus saint de l’islam – la mosquée al-Aqsa de Jérusalem -, auxquels les Palestiniens n’entendent pas renoncer.
Contrairement aux Émirats, peuplés d’un million d’autochtones seulement aux côtés de 9 millions d’étrangers, et surtout à Bahreïn (600.000 autochtones et 700.000 expatriés), l’Arabie compte, elle, 24 millions de Saoudiens et 8 millions d’étrangers. «Le roi Salman sait que la population saoudienne qui compte une fraction importante de conservateurs n’est pas prête à la paix avec Israël, décrypte un expert du royaume. Ce n’est pas le moment, ajoute-t-il, le pays est déjà aux prises avec la pandémie du Covid qui aggrave la crise économique et sociale. Accepter la paix avec Israël fragiliserait encore le royaume dans le monde musulman. Et là non plus, ce n’est pas le moment, alors que la Turquie et son allié le Qatar contestent la prédominance saoudienne sur l’islam sunnite. Se rapprocher d’Israël pourrait amener des pays musulmans à revoir leurs relations avec Riyad», prévient-il.
Des contacts le plus discrets possible
Cette absence de relations diplomatiques n’empêche pas Riyad et Tel-Aviv d’entretenir des contacts, dans le domaine du renseignement ou de la fourniture de matériels sensibles, type logiciels espions pour surveiller les opposants. Mais ces contacts doivent rester le plus discrets possible.
En janvier 2015, un technicien israélien, Christopher Cramer, avait été retrouvé mort, défenestré, au pied de son hôtel de Tabouk dans le nord de l’Arabie. Ses proches avaient crié à l’assassinat de cet employé d’une société américaine, filiale d’Elbit Systems, l’une des figures de proue de l’industrie militaire israélienne.
Soucieux de préserver les équilibres au sein de la société, l’Arabie s’abstient donc, tout en engageant son protégé bahreïnien à se rapprocher d’Israël. «MBS a ainsi donné un gage à Trump, qui a reconnu lui avoir sauvé sa peau», après l’assassinat du dissident Jamal Khashoggi en 2018 au consulat saoudien d’Istanbul en Turquie, poursuit l’expert. En fait, le président américain, en quête de succès diplomatiques à cinquante jours de l’élection présidentielle, a exercé d’énormes pressions pour que Riyad établisse des relations diplomatiques avec l’État hébreu. Le processus serait en cours, si l’on en croit Donald Trump: «J’ai parlé au roi d’Arabie (…) nous venons d’entamer le dialogue» sur la normalisation avec Israël, a déclaré le président américain aux journalistes, cette semaine.
«Les Émirats ont obtenu l’assurance de la vente d’avions militaires F-35, réservés jusque-là aux Israéliens. Que demandera l’Arabie saoudite? Peut-être le contrôle de l’ensemble du cycle de production de son énergie nucléaire», anticipe Marc Martinez, expert, longtemps basé dans le Golfe.
Dans leurs négociations menées secrètement pendant trois mois – via les États-Unis et sans face-à-face direct avec des Israéliens -, les Émirats ont également obtenu la suspension de l’annexion de territoires palestiniens par l’État hébreu, même si Benjamin Nétanyahou a semblé revenir sur cet engagement. C’est ainsi que les autres États arabes doivent désormais négocier la paix avec Israël, recommandent plusieurs personnalités, comme Amr Moussa, ancien patron de la Ligue arabe, ou Martin Indyk, ancien ambassadeur américain à Tel-Aviv. «Que le Maroc arrache un arrêt de la colonisation contre la signature de la paix avec Israël, que tel autre obtienne l’arrêt des destructions de maisons palestiniennes par Israël…», conseille l’ex-diplomate américain. L’inverse de la démarche du plan arabe de feu le roi Abdallah de 2002, qui n’a jamais fonctionné.