S’il lui était donné la possibilité d’enfourcher une machine à remonter le temps, Michel Aoun n’hésiterait pas longtemps avant de se projeter en octobre 1989, juste avant la signature de l’accord de Taëf, pour infléchir le cours des évènements et essayer de conjurer la malédiction qui frappa les maronites.
La perte des prérogatives du Président de la République maronite au profit du Conseil des ministres réuni, mais présidé par un sunnite, est devenue depuis ce temps une fixation pour Michel Aoun, mais aussi le fondement d’une stratégie visant à restaurer une « hégémonie » qui revient, selon sa vision obstinée, « de droit » aux maronites.
Tout cela est « naturel » et parfaitement compréhensible si l’on prend en considération les lois qui régissent le fonctionnement du système confessionnel libanais: chaque communauté doit lutter en permanence pour préserver (ou recouvrer) ce qu’elle croit être ses prérogatives. Toute la question est de savoir par quels moyens elle peut y parvenir.
Michel Aoun croit avoir trouvé la solution et la stratégie qui la sous-tend. Elle repose sur un changement de paradigme qui vise à rompre le partenariat historique des maronites avec les sunnites au profit d’un partenariat plus prometteur avec les chiites. Il est, en effet, inconcevable de maintenir le partenariat avec ceux-là mêmes qu’il accuse d’avoir « usurpé » les pouvoirs de la Présidence maronite. Pour lui, ce changement de partenaire est donc assez logique, voire indispensable. D’où son alliance avec le Hezbollah.
Cette stratégie brille par sa simplicité. Elle a l’élégance d’une démonstration mathématique, mais elle pêche par sa naïveté excessive. Elle est naïve par ce qu’elle part de l’hypothèse farfelue que la communauté chiite a très peu d’ambition, qu’elle est structurellement incapable de diriger le pays et que par conséquent, elle confierait, le jour venu, l’exercice du pouvoir au partenaire maronite historiquement plus « expérimenté ».
Si les sunnites sont perçus par les maronites comme leurs rivaux historiques, les chiites, selon la vision aouniste, n’iraient jamais jusqu’à concurrencer leurs nouveaux partenaires dans leur hégémonie restaurée. Bien entendu, il ne se pose jamais la question de savoir pourquoi l’islamisation du Liban serait l’œuvre exclusive des sunnites et n’impliquerait pas tout autant les chiites !
Mais, il y a pire. L’erreur fatale de Michel Aoun est de confondre le Hezbollah avec la communauté chiite et de feindre ignorer la « nature » de son nouveau partenaire dont la politique est organiquement liée à celle de ses parrains régionaux. Là aussi, il ne se pose pas la question de savoir comment les maronites seraient capables, sans perdre leur âme, de régler à l’heure des comptes la facture iranienne.
La stratégie de Michel Aoun peut simplement être qualifiée de stratégie du « temps immobile ». Elle fige les communautés sunnite et chiite dans l’état où elles se trouvaient en 1989. La dynamique centripète de la première et centrifuge de la seconde (du fait de la politique du Hezbollah) ne semblent pas avoir été perçues par le Général.
Son strabisme divergent qui le fait sans cesse loucher vers un partenaire qu’il maudit et un autre qu’il courtise risque en fin de compte de le perdre. Car ni le premier n’en plus voudra de lui, ni le second ne le paiera jamais en retour !
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