« Etre plusieurs années à observer ses ennemis ou à faire la guerre, ce n’est point aimer le peuple mais être l’ennemi de son pays » – SUN TZU, L’Art de la Guerre
En guise de confiseries, les citoyens libanais ont droit en cette saison des fêtes à des cadeaux inattendus. Il y eut d’abord cette visite à Damas de Saad Hariri qui est allé chez le dictateur syrien, un peu comme le « pharmakos » ou bouc émissaire qu’on charge de tous les maux de la cité et qu’on traîne hors les murs pour l’exécuter afin de purifier le peuple de ses scories putrides.
Il y eut certes, différents sermons et autres messages de Noël délivrés par des autorités religieuses, hautes ou moins hautes, et dont le contenu spirituel inégal est dû à la diversité des orateurs.
Et puis, il y eut le sermon de Achoura-Noël dont Sa Clémence Hassan Nasrallah gratifia la population. Jouant au Père Noël, avatar américain du bon Saint Nicolas, Sa Clémence s’adressa nommément aux libanais chrétiens pour leur dire métaphoriquement : « soyez sages comme de petits enfants, sinon gare à vous ». Si la sagesse enfantine consiste à souscrire sans sourciller aux faits et gestes de Sa Clémence en la laissant faire à sa guise en matière d’usage de la force armée, la réponse est aussi limpide que le message délivré : NON.
Et comme en un écho aux propos de Sa Clémence, il y eut surtout l’homélie de théologie comparée que délivra le Général Michel Aoun à l’occasion de Noël-Achoura. Le chef militaire, vaillant et intrépide, prit quelques risques sur le terrain glissant et vaseux de l’argumentation métaphysique. Il délivra aux chrétiens, un message qui, métaphoriquement du moins, dit ceci : la rédemption de la création par Jésus Christ et la guerre ultime que le Mahdi attendu livrera avant la fin des temps contre les forces du mal constituent un seul et même combat. Ou encore : les chiites ( comprendre le parti khomeyniste ) et les chrétiens ( comprendre, ceux aux couleurs orange ) ne sont que deux aspects d’une réalité culturellement plurielle.
Pour appuyer ses dires, le Général crut bon d’établir un parallélisme entre la passion du Christ mort sur la croix et les épreuves douloureuses de l’Imam Hussein mort au combat lors de la bataille de Kerbala. Allant plus loin dans l’exégèse théologique et l’anthropologie culutrelle, le Général estima que la figure de Jésus Christ et celle de l’Imam Hussein constituaient deux perspectives culturelles du même messianisme. En soi, et sur le seul plan de la symbolique, l’argument peut être défendu. Mais le Général avait oublié combien sont dangereux les sables mouvants de la métaphysique.
Les propos théologiques de Michel Aoun sont inacceptables pour n’importe quel bon musulman, sunnite ou chiite. Le Général oublie le verset coranique de la sourate Al-Nisa’ : « Or, ils ne l’ont ni tué ni crucifié; mais ce n’était qu’un faux-semblant » ( Q 4 :157 ). Aucun musulman sincère n’accepterait, sous peine d’apostasie, de souscrire à l’hypothèse comparative du Général.
Manipuler les symboles sacrés pour satisfaire une ambition politique est une entreprise étrangère à l’esprit du christianisme qui établit une distinction formelle entre le temporel et le spirituel. L’argumentation du Général est donc, par nature, sans objet.
En principe aucun fidèle baptisé ne peut porter atteinte au caractère absolument unique de la personne même de Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai Homme, et encore moins à l’unicité exclusive du salut qu’Il a opéré par sa mort sur la croix en faveur de tout homme passé, présent et à venir.
Du point de vue de la foi chrétienne, la réponse à l’exégèse de Michel Aoun est donnée par le Christ lui-même : « Je suis la voie, la vérité et la vie ; nul ne vient au Père que par moi » (Jn. 14 :6) Quand le Sanhédrin juif ordonna à Saint Pierre de renoncer à évoquer Jésus-Christ, ce dernier répondit : « Il n’y a de salut en aucun autre; car il n’y a sous le ciel aucun autre nom qui ait été donné parmi les hommes, par lequel nous devions être sauvés » ( Actes 4 :12 ). Saint Paul reprend en écho : « Car il y a un seul Dieu, et aussi un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus Christ homme qui s’est donné lui-même en rançon pour tous » (1Ti. 2 :5).
Le contenu du dépôt de la foi touche à la conscience de tout un chacun et ne peut faire l’objet de compromissions en vue de plaire à tel ou tel maître. C’est Saint-Paul qui l’affirme : « Si je voulais plaire aux hommes, je ne serais plus le serviteur de Jésus-Christ (Gal. 1 :10). Quant aux relations intercommunautaires libanaises, elles constituent un enjeu politique et ne sont pas des projets d’un syncrétisme religieux qui, du point de vue canonique chrétien, pourraient valoir à leurs auteurs l’excommunication majeure.
Certains, par mansuétude, pourraient comprendre l’essai théologique du Général Aoun en disant que la théologie militaire est à la théologie ce que la musique militaire est à la musique : une fanfare.
Antoine COURBAN