L’ancien opposant exilé en France devra contrer l’Iran, garder les États-Unis à distance et répondre aux attentes sociales.
MOYEN-ORIENT La troïka du pouvoir est enfin en place. Après plus de quatre mois de tractations entre les formations politiques, vainqueurs des élections législatives de mai, l’Irak s’est doté d’un nouveau président de la République (kurde), qui a nommé un premier ministre (chiite), après que le Parlement a élu son président (sunnite).
Détenteur des principaux pouvoirs, en vertu de la Constitution adoptée après la chute de Saddam Hussein en 2003, Adel Abdel Mahdi est le nouveau premier ministre, en lieu et place d’Haidar al-Abadi, l’homme qui vainquit Daech, grâce aux forces de la coalition internationale, mais fut incapable de répondre à la crise sociale et politique dont souffre l’Irak-post Saddam Hussein. Sitôt élu président de la République, Bahram Saleh a chargé mardi soir Abdel Mahdi de former, sous 30 jours, un gouvernement. La tâche est ardue dans un paysage politique fragmenté, mais Abdel Mahdi a quelques atouts.
À 76 ans, ce vétéran de la politique irakienne fait figure d’indépendant. « Il doit sa nomination à un consensus entre les deux coalitions, ayant remporté les législatives de mai », se félicite Jaber al-Jabéri, ex-député sunnite de Ramadi, joint au téléphone à Bagdad. « Il n’appartient à aucun parti politique, c’est une très bonne chose, il ne va pas travailler pour les intérêts d’une faction, mais pour tout l’Irak », veut croire Jaber al-Jabéri. Selon ce dernier, le nouveau premier ministre « doit concentrer ses efforts sur l’économie, le retour des investisseurs étrangers ainsi que sur l’amélioration des services à la population », comme les manifestations dans le Sud l’ont montré cet été.
Comparé à un caméléon
« Abdel Mahdi a de bonnes relations avec de nombreux Kurdes, dit de lui un de ses amis, les sunnites peuvent l’accepter, car il est ouvert, et en tant que chiite, il n’est pas inféodé à l’Iran », même s’il a été longtemps un haut dirigeant d’un parti proche de Téhéran. Ceux qui l’ont bien connu – notamment pendant son exil français de 1969 jusqu’à 2003 – l’ont longtemps comparé à un caméléon. Adel Abdel Mahdi a été successivement baassiste, communiste, maoïste, puis islamiste. « Quand je lui disais, il y a dix ans, qu’il avait changé d’opinions, il me répondait, se rappelle son ami, non j’ai changé d’habits. » C’était l’époque où dans les arcanes du nouveau pouvoir à Bagdad, cet équilibriste de la politique au physique massif était surnommé « Monsieur 50+1 », pour illustrer le fait que les chiites, majoritaires en Irak, devaient dominer la scène politique. Instruit par les échecs de cette stratégie marginalisant les autres composantes de la mosaïque irakienne, l’homme, depuis, a profondément changé.
Adel Abdel Mahdi a de la branche : son père, membre respecté du clergé chiite, fut ministre sous la monarchie, renversée en 1958. Son épouse et sa fille vivent toujours à Saint-Étienne, mais lui a toujours refusé de détenir un passeport français. « C’est un expert en relations publiques, insiste son ami. Il lui suffisait de voir un secrétaire d’État américain une fois pour lui prendre le bras ensuite. Il est chaleureux. » Sauf avec les diplomates français, après la chute de Saddam Hussein. « Il leur en voulait de l’opposition de Paris à la guerre en Irak, se souvient son compagnon de route. À partir de 2003, l’ambassadeur de France, Bernard Bajolet, devait lui courir après dans les couloirs du palais des congrès de Bagdad où se réunissait la nouvelle élite politique. Adel gardait des souvenirs désagréables des fouilles de la DST à l’aéroport de Paris qui épluchait son agenda, mais, maintenant, ses relations sont apaisées avec la France. »
Recoller les morceaux
Sa méfiance à l’égard du voisin iranien, dont l’influence est grande parmi les politiques irakiens, le rend acceptable pour les États-Unis de Donald Trump, en guerre contre Téhéran. Ses bonnes relations avec des dirigeants kurdes l’aideront également dans la tâche délicate de recoller les morceaux entre le pouvoir central à Bagdad et les Kurdes, un an après l’échec de leur référendum sur l’indépendance.
Mais après quinze ans de « chienlit », ponctués de violences, les Irakiens réclament du neuf, en termes de dirigeants et de gouvernance. Aura-t-il les moyens de ses ambitions ? Pour composer son gouvernement, il devra faire appel à d’anciens « éléphants » discrédités auprès de l’opinion. Il devra notamment composer avec des figures représentées au Parlement, comme Hadi al-Ameri, le chef de la très puissante organisation Badr, mouvement armé proche de l’Iran, aujourd’hui chef de la liste de l’Alliance de la conquête, arrivée deuxième aux législatives. Il devra aussi faire face à l’ancien premier ministre Nouri al-Maliki, ainsi qu’à Moqtada Sadr, turbulent leader chiite qui n’a cessé de conclure et de rompre des alliances gouvernementales depuis le scrutin de mai qu’il a remporté. Bref, Adel Abdel Mahdi aura besoin de ses « multiples vies » pour sortir l’Irak de l’ornière.