DISPARITION – L’ancien député Samir Frangié vient de mourir à Beyrouth d’un cancer, à l’âge de 72 ans.
Il était l’une des voix de la sagesse dans un Liban toujours fracturé. L’ancien député Samir Frangié vient de mourir à Beyrouth d’un cancer, à l’âge de 72 ans. Cet ancien journaliste à L’Orient Le Jour était le fils de Hamid Kabalan Frangié, l’un des pères de l’indépendance du Liban, plusieurs fois ministre – des Affaires étrangères, des Finances et de l’Éducation.
«Samir Frangié, c’était un peu celui vers qui l’on se tournait quand on ne comprenait plus rien aux volte-faces politiques libanaises, écrit le site iloubnan.info. C’était le garant d’une éthique, d’une morale dans les moments où ces valeurs semblaient disparaître. C’était le grand défenseur d’un Liban du vivre-ensemble.» Bel et juste hommage rendu à cet intellectuel, issu du clan Frangié, originaire de Zghorta, dans le nord du Liban, une famille qui donna notamment un président de la République – Soleiman Frangié, l’oncle de Samir.
La guerre civile terminée en 1990 – mais loin d’être encore cicatrisée -, Samir Frangié milita ensuite inlassablement pour la réconciliation entre communautés libanaises. Et durant le conflit qui ensanglanta pendant quinze ans le pays du Cèdre, cet humaniste s’opposa aux milices et aux partis chrétiens de son camp. Il œuvra à plusieurs reprises au rapprochement des belligérants, notamment entre le chef druze Walid Joumblatt et le chrétien Bachir Gemayel. Avant de jouer un rôle actif dans la rédaction de l’accord de Taëf, qui mit fin à la guerre civile.
Opposé à la Syrie
De sa voix douce, il assénait ses convictions, fondées sur le dialogue, et rassemblées dans son «Appel de Beyrouth» lancé en 2004. «Nous pensons qu’il faut à tout prix mettre un terme à ce processus de réduction qui est à l’origine de toutes les folies: réduction de la civilisation, de la culture à la religion, de la religion à la politique et de la politique à l’action violente.» L’action violente, Samir Frangié l’expérimenta très jeune en 1957 lorsqu’un massacre entre son clan et celui des Doueihy ensanglanta l’église de Zghorta. Une vendetta comme il s’en produisait fréquemment dans ce nord du Liban aux mœurs un peu frustes. Vingt-trois personnes restèrent à terre dans l’église maronite du village, dont cinq du clan Frangié. Une barbarie qui marqua le jeune Samir.
Dans un Liban toujours autant divisé, le combat de Samir Frangié pouvait paraître une utopie. Mais cet humaniste, francophone et francophile, guidé par la pensée du philosophe René Girard, refusait d’abdiquer.
Élevé au rang de commandeur de la Légion d’honneur par la France, Samir Frangié fut donc naturellement l’une des figures de proue de la «Révolution du Cèdre», qui bouta les Syriens hors du Liban au printemps 2005, dans la foulée de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, imputé à Damas et à ses alliés.
Élu au Parlement en 2005 pour le poste de député maronite de Zghorta, il fut un adversaire résolu de son cousin, Tony Frangié, proche du président syrien Bachar el-Assad. Il ne se représenta pas aux élections de 2009 mais resta membre du secrétariat général du mouvement du 14 Mars, opposé à la mainmise du Hezbollah chiite pro-iranien sur la politique libanaise.
Samir Frangié semblait résolument moderne dans un pays qui ne l’est pas forcément, en dépit des apparences. Ses chevaux de bataille – la citoyenneté, la société civile, la passation du pouvoir et la transparence – restent encore des chantiers à achever. Mais cet inaltérable optimiste a tracé la voie. Son message était un message d’espoir dans un pays placé au carrefour des conflits du Moyen-Orient.
En 2000, à la demande du père Sélim Abou, recteur de l’université Saint-Joseph à Beyrouth, il fut promu maître de conférences, animant de nombreuses interventions, centrées sur les thèmes du dialogue et du vivre-ensemble, chers à son cœur. Ce qui lui valut de devenir rapidement une figure de référence du mouvement étudiant de l’époque.
En 2011, Samir Frangié publia un essai,Voyage au bout de la violence, aux Éditions Actes Sud, fruit de son contact ininterrompu avec la violence.