Andrés Allemand bouscule quelques idées préconçues à propos des pays musulmans.
Le monde arabe? Beaucoup se l’imaginent religieux, très conservateur et même en voie de radicalisation. En somme, il y aurait en chaque musulman un islamiste qui sommeille. Attentats terroristes et vidéos de décapitation nous en ont largement convaincus. Mais voilà qu’une vaste enquête d’opinion menée pour la très britannique BBC vient bousculer ces idées reçues. Primo, l’athéisme serait en progression dans le monde arabe, particulièrement parmi les jeunes. Lentement, certes, mais sûrement. Et dans le même temps, les mouvements islamistes seraient en perte de vitesse, leur cote de confiance s’effritant un peu partout et s’effondrant carrément dans certains pays. Enfin, la majorité des Arabes interrogés jugent parfaitement normal qu’une femme puisse accéder à la tête de l’État ou du gouvernement. Décoiffant, non?
Le sondage publié sur le site arabophone de la BBC a été réalisé par Arab Barometer, un réseau de recherches indépendant basé à l’Université de Princeton, dans le New Jersey, aux États-Unis. Il a été mené entre la fin de 2018 et le printemps 2019 auprès de plus de 25’000 personnes résidant dans dix pays (Algérie, Égypte, Irak, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Soudan, Tunisie et Yémen), ainsi que dans les Territoires palestiniens. Les personnes sondées étaient prises au hasard, interrogées en privé et en tête à tête. Elles répondaient, sur une tablette, à un questionnaire à choix multiples.
Or, le nombre de personnes se disant «non religieuses» est passé de 8% en 2013 à 13% en 2019. La proportion monte même à 18% parmi les moins de 30 ans. Presque un jeune Arabe sur cinq! En Tunisie, c’est carrément un tiers de la population globale qui ne s’identifie plus à l’islam. En Libye, pays empêtré dans une guerre civile interminable, c’est un quart des citoyens. Au Maroc et en Égypte, une personne sur dix a désormais pris ses distances. De tous les pays sondés, le Yémen est le seul où la population «non religieuse» est en recul.
Or, simultanément, les Arabes semblent perdre confiance dans les mouvements islamistes. Au Soudan, la popularité des Frères musulmans s’est effondrée avec un déclin de 25% depuis 2013. En Jordanie et au Maroc, la baisse tourne autour des 20%. En Tunisie, où le parti Ennahdha est entré dans la coalition au pouvoir, il a perdu 24% de ses soutiens. En Palestine, la popularité du Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, a chuté de 45% à 24%.
Sur d’autres questions, les résultats de l’étude sont moins enthousiasmants. Si la plupart des sondés estiment que les femmes doivent pouvoir divorcer ou briguer la tête de l’État ou du gouvernement, les hommes demeurent les chefs de famille. Par ailleurs, l’homosexualité est très peu tolérée, sauf en Algérie (26%) et au Maroc (21%). Mais ces deux pays tolèrent davantage les crimes d’honneur! Bref, il y a encore du pain sur la planche. Mais le tableau n’est pas du tout aussi sombre qu’il a souvent été dépeint.