Dès janvier, un diplomate occidental dénonçait dans une note la dissimulation de l’ampleur de l’épidémie par Pékin. Le JDD a pu la consulter.
Le 24 janvier, au lendemain de la décision du président Xi Jinping de confiner Wuhan et ses 11 millions d’habitants, un diplomate occidental, qui a été en poste en Chine, adresse un message à l’un de ses proches à Paris. Il a gardé ouverts ses réseaux d’information sur place et essaie de comprendre pourquoi Pékin a mis longtemps à agir alors que le virus est apparu près de deux mois plus tôt : « Certaines autorités locales ont pu (ou dû) minimiser, n’ont pas voulu (ou pas pu) alerter plus rapidement« , explique-t-il. Il s’interroge aussi : « Les autorités savent-elles des choses qu’elles ne disent pas (ou pas encore)? »
Une dizaine de jours plus tard, alors que le Covid-19 a déjà fait plus de morts en Chine que le Sras en 2003, ce même fonctionnaire essaie d’analyser les derniers rebondissements au moyen d’une note de deux pages, que le JDD s’est procurée. Voici ce qu’on peut y lire : « Si les hôpitaux de Wuhan confrontés aux afflux de patients ont alerté les autorités sanitaires municipales dès la fin décembre, ces dernières ont dissimulé l’ampleur de l’infection et refusé de la traiter pendant une période critique de deux semaines. De plus, elles ont suspendu toute action pendant la durée des Congrès des législatures provinciales, traditionnellement organisées en début d’année dans toute la Chine. On a laissé des millions de Wuhanais quitter la ville, et des millions de visiteurs y venir au risque de propager le virus dans toute la Chine et à l’étranger. Courtisanerie, peur de déplaire, aveuglement, inertie se sont mêlés pour reléguer au second rang la réponse à la crise sanitaire et la sauvegarde de vies humaines. »
Cette note n’est ni un télégramme diplomatique ni un document officiel, mais son contenu est discuté entre son auteur et ses supérieurs. Il recoupe l’analyse en provenance des postes diplomatiques européens en Chine.
Le nombre d’urnes funéraires supérieur à celui des décès
En résumé, les autorités locales ont failli, mais lorsque l’État central a décidé d’agir, il a mis les moyens pour réussir. Début mars, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) note que l’État chinois coopère, qu’il s’adapte progressivement aux normes de calcul et de transmission de l’information requises par l’organisation internationale. Au point que la direction de l’OMS finit par décerner à Pékin la note A- pour sa gestion de la crise, quand la France ne lui a mis qu’un B+ et les États-Unis, un C (après lui avoir accordé un E pendant l’épisode du Sras).
Reste le nombre de morts et cette histoire d’urnes funéraires livrées aux crématoriums de Wuhan en quantité nettement supérieure au nombre de décès déclarés. « On ne peut que s’interroger sur le nombre officiel de cas et de décès, confie l’ex-ambassadeur de France en Chine Jean-Maurice Ripert. Il est difficile de croire que, dans un pays de 1,4 milliard d’habitants où l’on a confiné 200 ou 300 millions de personnes, il n’y ait eu qu’un peu plus de 3 000 morts. » Certains de ses collègues toujours en activité s’interrogent également sur ce chiffre « anormalement bas » qui selon eux « renforce le soupçon ».
« Le terme ‘dissimulation’ est plus approprié que ‘mensonge’, mais aujourd’hui, avec les nouveaux cas officiellement présentés comme importés, les responsables locaux chinois sont contraints à l’autocensure car cela va à l’encontre de la ligne du Parti« , admet une source officielle bien informée, pour qui l’annulation de la deuxième session annuelle de l’Assemblée nationale populaire début mars à Pékin est un signe d’anormalité.
Les officiels chinois nient catégoriquement toute sous-estimation. Les autorités françaises, elles, refusent de polémiquer sur le sujet. À l’Élysée, on explique vouloir se concentrer sur les priorités du moment, notamment les considérables commandes de masques de protection adressées à Pékin. L’essentiel est de ne pas se fâcher avec son fournisseur. Même si, dans plusieurs semaines ou plusieurs mois, le débat sur l’opacité et la transparence comme gage d’efficacité face aux pandémies sortira de sa parenthèse diplomatique.