Mardi, des véhicules de la Force des Nations unies (Finul) patrouillent sur la route côtière de Naqoura, la ville du Sud-Liban la plus proche de la frontière avec Israël. MAHMOUD ZAYYAT/AFP*
DÉCRYPTAGE – Les deux pays, qui ne sont pas en paix, entament un dialogue pour le tracé de leur frontière maritime.
Envoyé spécial à Beyrouth
C’est un petit pas entre deux pays qui ne sont pas en paix. Israël et le Liban vont engager un dialogue indirect pour chercher à s’entendre sur le tracé de leur frontière maritime commune. La réunion doit se tenir ce mercredi à Naqoura au Sud-Liban, le fief du Hezbollah, au siège de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Elle a un enjeu politique puisqu’elle a nécessité l’assentiment du parti chiite et de sa milice, soutenus par l’Iran, qui se présentent comme le fer de lance de la lutte contre Israël.
Elle intervient dans un contexte de normalisation des relations diplomatiques entre l’État hébreu et des pays arabes comme les Émirats arabes unis (EAU) et Bahreïn, avec le consentement de l’Arabie saoudite. Le rendez-vous a également une dimension économique en raison du potentiel gazier et pétrolier des zones disputées. Un accord ouvrirait une nouvelle manne en hydrocarbure à Israël en Méditerranée orientale et donnerait à terme une bouffée d’oxygène à l’économie libanaise qui dispose de peu de ressources naturelles.
«Ces négociations s’ouvrent effectivement avec l’aval du Hezbollah. Quelques semaines avant leur annonce, le Trésor américain avait sanctionné deux ex-ministres libanais accusés par Washington de corruption et de soutien au parti chiite qui est considéré par les États-Unis comme un mouvement terroriste», commente le politologue de l’Ifri, Karim Bitar. «Le mouvement chiite libanais Amal et le Hezbollah se sont soudain montrés plus réceptifs comme si la politique américaine du bâton avait son efficacité. Il n’est pas à exclure que leurs amis iraniens cherchent avant tout à gagner du temps dans la perspective de l’élection présidentielle américaine», poursuit-il. «L’ouverture de discussions ne signifie pas qu’elles vont aboutir», relativise Karim El Mufti, professeur à l’université de la Sagesse à Beyrouth.
Le rendez-vous se tient sous l’égide du secrétaire d’État adjoint américain pour le Moyen-Orient, David Schenker. La Maison-Blanche en quête de succès diplomatiques dans la région avant le scrutin du 3 novembre les qualifie d’«historiques». La délégation israélienne est composée de six membres dont Udi Adiri, directeur général du ministère de l’Énergie, Reuven Azar, un conseiller diplomatique de Benyamin Nétanyahou et le général Oren Setter, le chef de la direction des Affaires stratégiques de l’armée. Les Libanais sont représentés par des militaires de haut rang, un diplomate et des spécialistes en cartographie et des hydrocarbures. David Schenker est à la manœuvre tout comme la Finul.
Washington encadre les discussions sur les frontières maritimes tandis que les Nations unies s’occupent du reste, c’est-à-dire du litige terrestre sur la «ligne bleue» de démarcation établie par les Nations unies en 2001 après le retrait israélien du Sud-Liban. Un différend puisant ses origines dans le mandat français oppose le Liban, Israël et la Syrie sur l’enclave des Fermes de Chebaa. Israël accuse le Hezbollah de se servir de cette dispute comme prétexte pour poursuivre des attaques sporadiques. L’État hébreu et la milice armée qui règne sur le Sud-Liban sont en état de guerre larvée mais les deux camps s’observent de chaque côté de la frontière dans un étrange ballet. Ils s’accordent pour éviter, ces dernières années du moins, un dérapage général. Ennemi déclaré d’Israël, le Hezbollah jure que les pourparlers ne sont ni une «réconciliation» ni une «normalisation».
En plein marasme, le Liban dont le mouvement chiite contrôle une partie de l’appareil d’État veut croire à la prospection gazière et pétrolière. En 2018, le pays a signé son premier contrat d’exploration pétrolière pour deux secteurs off-shore avec un consortium international mais une partie d’un des deux blocs se trouve dans la zone maritime disputée avec Israël. La société Total estime que la rentabilité des forages n’est pas à ce stade avéré.
Le chef du Parlement, Nabih Berri, allié du Hezbollah, est le personnage clé du dossier. À 82 ans, l’indéboulonnable chef chiite du mouvement Amal a toujours été partisan au nom d’intérêts bien compris de la quête d’une solution. Longtemps, Washington a fait la navette sans succès. Le feu vert du Hezbollah et donc de l’Iran a ouvert la voie aux pourparlers. Le Hezbollah, qui a son propre agenda et souhaite une levée des sanctions américaines le visant, est comme les autres forces politiques libanaises pris dans la tourmente de la crise d’économique, de l’effondrement de la livre libanaise et de la tragédie du port de Beyrouth. Les Libanais reprochent à leurs dirigeants d’être à l’origine du désastre. Rien ne dit toutefois que les pourparlers aboutissent à une normalisation.