Par Louis Imbert
Les opposants du président Hassan Rohani, les critiques ultraconservateurs de l’accord sur le nucléaire iranien conclu à Vienne en juillet, ont subi une humiliation lors des élections législatives, vendredi 26 février, à Téhéran. La quasi-totalité de leurs candidats sont éliminés dans la capitale, aux élections législatives et pour l’Assemblée des experts, un corps de 88 clercs qui pourrait avoir à nommer le prochain Guide suprême.
C’est une victoire pour M. Rohani, qui avait besoin d’un Parlement plus pragmatique pour mener l’ouverture économique du pays. Parmi ses soutiens, les réformateurs reprennent pied au Parlement, mais ils demeurent minoritaires.
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Une gifle pour les ultraconservateurs dans la capitale
Selon des résultats partiels quasi définitifs, aucun des candidats de la liste ultraconservatrice ne figure parmi les trente élus de Téhéran au Parlement. Le chef de file de ce mouvement critique de l’accord sur le nucléaire et de la collaboration du Parlement avec le gouvernement Rohani, Gholam Ali Haddad-Adel, figure à la trente et unième place.
De même, à l’Assemblée des experts, qui était élue le même jour : leurs principaux candidats sont recalés. L’ayatollah Mohammad Taghi Mesbah Yazdi, un clerc rigoriste en matière de mœurs, partisan intransigeant de l’autorité du Guide suprême sur l’ensemble de la vie politique et critique de toute « sédition » réformatrice, s’en trouve exclu.
L’actuel chef de l’Assemblée, l’ayatollah Mohammad Yazdi, proche du Guide suprême, est également rejeté. A défaut de pouvoir s’imposer dans cette élection, les réformateurs avaient mené campagne à Téhéran pour éliminer ces personnalités emblématiques. Une forte mobilisation des électeurs libéraux des classes moyennes leur a permis d’atteindre en partie cet objectif.
Leur troisième cible, l’ayatollah Ahmad Jannati, le chef du Conseil des gardiens, qui avait dirigé la sélection des candidatures à ces deux élections en invalidant de nombreuses figures jugées trop critiques du « système », a quant à lui réussi à se faire élire, en dernière position.
A l’échelle nationale, le taux de participation s’élève à environ 60 %.
Lire le reportage : A Téhéran, on vote pour « ceux qui suivent les principes »
Hassan Rohani dans son bureau, à Téhéran. PRESIDENT.IR
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Le président Hassan Rohani conforté
Ce vote est une victoire pour le président Hassan Rohani, lequel a estimé, dès samedi 27 février au soir, que le peuple avait « donné plus de crédibilité et de force à [son]gouvernement élu ».
Dimanche 28, il saluait dans un tweet « une nouvelle atmosphère » régnant dans le pays. M. Rohani a besoin d’un Parlement plus conciliant pour mener une série de réformes afin d’attirer quelque 50 milliards de dollars (46 milliards d’euros) de capitaux étrangers par an, selon le plan quinquennal présenté en janvier.
Il lui faudra notamment développer l’investissement dans les secteurs pétrolier et gazier, mis à mal par dix ans de sanctions internationales, dont une large part a été levée en janvier.
Son gouvernement a présenté de nouveaux modèles de contrats pétroliers à la fin de 2015. Ils ont fait l’objet avant l’élection d’une âpre bataille avec des conservateurs, qui jugent excessives les prérogatives laissées aux groupes étrangers. Le vote de vendredi devrait faciliter la tâche de M. Rohani.
Lire le reportage : En Iran, les bénéfices de l’accord sur le nucléaire au cœur des élections
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Le Parlement reste conservateur
Le Parlement est cependant loin d’avoir basculé dans le camp réformateur. La plupart des dirigeants de ce courant ont été exclus de l’élection depuis décembre 2015 par le Conseil des gardiens. Ils ont dû s’allier à des figures centristes et des conservateurs modérés, en soutien à la politique de M. Rohani. Leurs listes recueillent un tiers des sièges à l’Assemblée : 89 députés, selon les premiers résultats publiés par l’agence ISNA.
Cela les positionne à égalité avec les ultraconservateurs, qui rassemblent pour l’heure 86 sièges à l’échelle nationale. Ces derniers devraient bénéficier de nouveaux ralliements parmi la cinquantaine de députés de provinces, dont les noms doivent être connus mardi 1er mars.
Un second tour devra être organisé pour une cinquantaine d’autres circonscriptions en avril ou en mai.
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Rohani ne souhaite pas d’agitation réformiste au Parlement
Parmi ces élus figurent une dizaine de femmes ; elles pourraient être une vingtaine au total, contre seulement huit aujourd’hui. Dans l’enthousiasme de la campagne, l’une d’elle, la réformatrice Parvaneh Salahshouri, a été jusqu’à avancer, dans une interview à un média étranger, que les femmes devraient avoir le droit de choisir de porter ou non le voile.
Le modéré Hassan Rohani serait bien gêné de voir émerger de tels débats sur des enjeux sociaux et liés aux libertés civiles dans la nouvelle Assemblée, qui pourraient braquer l’aile conservatrice du régime et ralentir son agenda économique.
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Les réformistes ont choisi « entre le mauvais et le pire »
Le propre camp de Mme Salahshouri a peu de chances de la soutenir. Sadegh Zibakalam, intellectuel majeur du camp réformateur, résumait, dimanche 28 février, le choix qu’ils ont dû faire« entre le mauvais et le pire » : ils ont misé sur un déplacement au centre, tendance conservatrice, du champ politique iranien, en s’alliant avec des figures qui ne partagent qu’à la marge leur programme.
On trouve sur leur liste, pour l’Assemblée des experts, un ancien ministre du renseignement, Ghorban Ali Dorri Najafabadi, en place durant une vague d’assassinats de dissidents et d’intellectuels dans les années 1990 – le ministère avait reconnu en 1999 l’implication d’un groupe d’agents « extrémistes » en son sein.
La propre tête de leur « liste de l’espoir », le réformateur Mohammad Reza Aref, est un soutien sans faille de M. Rohani, mais un rigoriste sur le plan des mœurs et de l’égalité hommes-femmes.
Lire l’entretien : Ayatollah Youssef Saanei : « Où sont les actes de Hassan Rohani ? »
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Un vaste soutien à l’accord nucléaire parmi les élites iraniennes
M. Rohani devrait également pouvoir compter sur le soutien d’Ali Larijani, conservateur pragmatique qui l’a épaulé à la tête du Parlement depuis deux ans, notamment en muselant les « ultras » pour faire voter l’accord sur le nucléaire, à la fin de 2015.
M. Larijani est en bonne voie pour être élu dans la ville religieuse de Qom. Il avait reçu le soutien de Ghassem Soleimani, principal maître d’œuvre, au sein des Gardiens de la révolution, de l’implication iranienne dans les guerres menées en Syrie et en Irak : un signe que l’accord sur le nucléaire recueillait un large soutien parmi les élites iraniennes.
Le Guide suprême, Ali Khamenei, qui avait repris à son compte, durant la campagne, des critiques des ultraconservateurs contre les soutiens de M. Rohani, a salué, dimanche 28, la forte participation au scrutin dans un message lu à la télévision. Il a cependant mis en garde contre « un progrès superficiel sans indépendance ni intégrité nationale ».
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Hachémi Rafsandjani s’impose à l’Assemblée des experts
Ali Akbar Hachémi Rafsandjani, ancien président de l’Iran et vieux rival du Guide suprême, recueille le plus grand nombre de voix pour l’Assemblée des experts, à la tête d’une liste où figure M. Rohani. Les conservateurs demeurent majoritaires dans cette assemblée.
M. Rafsandjani avait échoué à en prendre la tête en 2015. Il a milité durant la campagne pour un contrôle de l’action du Guide par l’Assemblée, une prérogative qu’elle n’a jamais exercée.
Le chef de l’autorité judiciaire, Sadeq Larijani, a dénoncé dimanche une campagne coordonnée avec des médias occidentaux.