LE FIGARO. – Quel est le sens du vote du second tour des législatives ?
Jérôme JAFFRÉ. -Événement majeur, le fait majoritaire qui organisait notre vie politique depuis 1962 est cassé. Les électeurs ont refusé de donner une majorité à l’un des deux camps qui pouvaient l’espérer (Ensemble ! et Nupes). Un double barrage a fonctionné : contre la réélection de députés macronistes, mais aussi contre l’élection de candidats Nupes – ces derniers sont nettement en dessous de leurs espoirs. L’orientation du pays est bien davantage à droite. Considérés en pourcentage, les résultats sont éloquents. Au deuxième tour des législatives de 2017, LREM et le MoDem totalisaient 52 % des suffrages exprimés ; ils tombent ce dimanche à 39 %. La gauche a obtenu 34 % au lieu de 12 % au deuxième tour de 2017, mais reste nettement minoritaire. Et le RN, beaucoup moins présent dans les circonscriptions, progresse aussi : 17 % contre 9 %. En termes de sièges, il n’y a pas de majorité absolue pour le président, à 40 députés près, ce qui est considérable. Mais il n’en existe pas davantage pour les partis les plus opposés : Nupes et RN, à eux deux, en obtiennent environ 230. On observe en revanche une majorité pour les partis de gouvernement (hors le PS, enfermé dans Nupes), c’est-à-dire les macronistes, LR et leurs alliés, qui en totalisent plus de 320.
Comment Macron, réélu président dans un fauteuil, en est-il arrivé là ?
Le président avait transformé le plomb en or en 2017. Il a renouvelé l’exploit, mais en sens inverse. Ainsi a-t-il mal évalué sa victoire, qui ne portait ni adhésion ni soutien. La série d’erreurs qu’il a ensuite commises en vue des législatives restera dans les annales : un calendrier incroyablement long avant de nommer le gouvernement ; une composition décevante ; un choix inadapté sur le poste de premier ministre en période électorale puis l’inaction. En outre, inflation et pouvoir d’achat sont devenus des boulets. Il y a une dimension sociale prononcée dans ce scrutin. D’une part, les trois départements les plus riches de France – Paris, les Yvelines, les Hauts-de-Seine – plébiscitent les candidats macronistes. Dans le 16e arrondissement de Paris, Ensemble ! conquiert même les deux circonscriptions. Et en province le vote du 19 juin apparaît souvent comme la transposition électorale du mouvement des « gilets jaunes ». Le RN perce dans les départements de la « France périphérique » : l’Eure, où il obtient 4 des 5 sièges, le Loiret, l’Aube, la Marne, la Haute-Marne. Et, en faveur de Nupes, on note, selon Ipsos, que 30 % des électeurs RN du premier tour ont voté pour elle et 18 % seulement pour son adversaire macroniste dans les duels de ce type. Une convergence des oppositions radicales contre le pouvoir, accusé de tous les maux, comme à la fin de 2018.
Quelle appréciation porter sur le résultat en demi-teinte de Nupes ?
Le barrage anti-Nupes a souvent fonctionné. En cas de duel opposant cette coalition à un macroniste, les électeurs de droite ont voté massivement pour ce dernier. Et, fait notable, une partie de la gauche modérée a refusé de voter Nupes. Selon Harris Interactive, les sympathisants socialistes n’ont été que 57 % à voter pour ces candidats dans ces mêmes duels, 30 % pour le candidat macroniste et 13 % à s’abstenir, alors que, chez les écologistes, le pourcentage pro-Nupes monte à 71 %. En Corrèze, les électeurs de l’ancienne circonscription de François Hollande ont préféré élire le candidat des Républicains ! Dans plusieurs grandes municipalités socialistes – comme à Brest, Rouen, Nancy ou Montpellier- les candidats Nupes-Insoumis connaissent des échecs.
Comment expliquer la performance du RN ?
Marine Le Pen a bénéficié paradoxalement du jeu d’Emmanuel Macron et d’Éric Zemmour. En faisant de Mélenchon le seul adversaire de ce deuxième tour, le président a complètement fait oublier le RN et a même presque donné un permis de voter en sa faveur quand il s’agissait de battre les mélenchonistes. Merci aussi, peut-elle dire, à Éric Zemmour, qui pendant la présidentielle l’a quelque peu « désextrémisée ». Puis, aux législatives, il a fixé un électorat venu de la droite classique, qui au second tour s’est massivement reporté sur les candidats RN. Cruauté du destin : les trois circonscriptions « zemmouristes » élisent des députés RN : la 4e du Var, convoitée par Zemmour ; la 2e du Loir-et-Cher, où son lieutenant, Guillaume Peltier, député sortant et candidat, a été éliminé, et la 3e du Vaucluse, qui avait élu il y a dix ans Marion Maréchal. De façon générale, l’élargissement géographique du parti de Marine Le Pen est impressionnant. Dans ses bastions traditionnels, il obtient de très nombreux députés (par exemple les 3 sièges de l’Aude, 6 des 7 sièges du Var) et, dans ses terres de mission, il arrache des sièges, comme en Gironde. Au lieu de subir le barrage habituel anti-RN, c’est le RN qui a servi de vote utile contre la Nupes. Pour un électeur modéré, voter RN pour battre la Nupes est apparu presque normal. Ainsi, dans la 4e circonscription du Loiret, où Jean-Michel Blanquer a été éliminé dès le premier tour et que LR détenait auparavant, le candidat RN gagne 32 points d’un tour à l’autre et terrasse son adversaire Nupes-PC, avec 63 % des voix.
LR, UDI et divers droite ont-ils des raisons de se réjouir ?
Comme à chaque scrutin depuis dix ans, LR perd presque la moitié de ses députés (61 contre 112 dans l’Assemblée précédente). Pourtant, le parti de la droite classique a bénéficié du vote massif de l’électorat macroniste en cas de duel avec Nupes. On le voit par exemple en Savoie et en Haute-Savoie. En revanche, LR et l’UDI sont battus par Ensemble ! dans des circonscriptions très aisées, comme dans l’Ouest parisien, et par Nupes dans des circonscriptions très populaires comme à Drancy (Seine-Saint-Denis). La droite n’arrive plus à bien s’insérer dans la stratification sociale, qui pèse beaucoup dans les votes.
Pour Ensemble ! et le MoDem, revers ou vraie défaite ?
L’échec pour le président et son parti est lourd. Ses principaux cadres dans la précédente chambre (président de l’Assemblée, présidents des deux groupes de la majorité) ont été battus. Les ministres candidats dans des circonscriptions de gauche, comme Amélie de Montchalin, ont connu le même sort. Le président n’a pas réussi à installer une « Génération Macron ». Et pourtant les candidats d’Ensemble ! ont bénéficié d’une surmobilisation de leurs électeurs. Selon Ipsos, 62 % des électeurs qui ont voté Macron au premier tour de la présidentielle d’avril dernier se sont rendus aux urnes, contre 48 % seulement des lepénistes et 47 % des mélenchonistes. La surmobilisation de son électorat lui a sans doute permis de conserver 10 à 20 sièges menacés. Bref, son échec aurait pu être plus prononcé encore.
Et maintenant, que va-t-il se passer ?
À terme, le président ne peut trouver une issue qu’en allant vers une coalition électorale et parlementaire du centre et de la droite classique. Mais la vérité est que les députés LR n’ont guère intérêt à s’engager comme roue de secours du pouvoir, car ils sont talonnés dans plusieurs circonscriptions par le RN. Ainsi, dans la 4e circonscription de Seine-et-Marne, fief de Christian Jacob, qui se présentait comme suppléant de la candidate LR, celle-ci n’a été élue qu’avec 51 % des voix, battant de justesse son adversaire RN. Une coalition Ensemble !- LR conduirait à l’éclatement du parti de droite, son éventuel échec conduirait aux élections suivantes à placer le RN devant les candidats LR. Des raisonnements qui devraient inviter les Républicains à rester unis, distants du pouvoir mais prudents pour éviter de pousser à une dissolution à contretemps.
Le Figaro