Telle est l’image saisissante qui venait à l’esprit de quiconque a directement participé, ou indirectement assisté via la télévision, aux obsèques de feu Monsieur Fouad Boutros en l’église Saint Nicolas. Au milieu de la nef, le cercueil de celui qui mérite, comme une petite poignée d’hommes de sa trempe, le noble surnom de gardien du temple. Dans l’assistance, le ban et l’arrière-ban de la classe politique dont certaines figures doivent, hélas, être appelées sans ménagement, les marchands du temple.
D’un côté, muet pour l’éternité, le patricien à la civilité parfaite, le grand commis de l’Etat qui a rempli, avec une loyauté exemplaire, les missions que le service public du Liban exigeait de lui. En face, quelques-uns de ces parvenus, bavards et forts en gueule, qui n’opèrent aucune distinction entre la recherche du bien commun et la rapacité de l’intérêt particulier.
S’il fallait trouver un mot pour résumer la quintessence de ce qui distinguait Fouad Boutros dans ses fonctions d’agent public et de commis de l’Etat, ce serait sans conteste celui de loyauté.
Loyauté du citoyen dans son allégeance à l’Etat qui prime sur toute autre appartenance ou affiliation à une communauté religieuse aussi respectable soit-elle.
Loyauté et déférence à l’égard de la chose publique et de sa sacralité car il y a une grande part de Sacré dans l’exercice du pouvoir au sein du service public.
Loyauté de l’agent public dans son obéissance aux instructions de ses autorités de tutelle.
Loyauté de l’administrateur à l’égard de l’administré qu’il est tenu de servir selon les termes de la Loi et le respect des procédures. Ceci implique un sens aigu du principe de subsidiarité qui implique qu’à chaque niveau de la vie publique, fut il le plus inférieur, la responsabilité doit être pleinement exercée et que nulle autorité hiérarchique ne peut se substituer à l’échelon inférieur.
Comme député, Fouad Boutros ne se serait jamais permis, par exemple, de se livrer à l’interprétation déloyale de la Constitution et ne se serait jamais servi d’une échéance constitutionnelle pour annuler son objet même, comme une élection présidentielle ; ce que n’hésitent pas à commettre, avec une criminelle forfaiture, bon nombre de députés de la nation présents aux obsèques.
Le gardien du temple, aujourd’hui disparu, connaissait la valeur inestimable du noble principe de loyauté au fondement du politique. Les marchands du temple qui étaient là se distinguent, quant à eux, par la confusion qu’ils opèrent entre la fourberie paysanne et l’intelligence politique.
Le grand diplomate disparu, à l’instar de ses collègues Charles Malek, Philippe Takla, Ghassan Tueni et d’autres de la même trempe, étaient de redoutables négociateurs parce que de grands visionnaires à l’immense culture. Ils savaient intelligemment manœuvrer pour assouplir la rigidité de l’interlocuteur au nom de leur loyauté aux intérêts du seul Liban. Aujourd’hui, certains de leurs successeurs pensent, sans doute, que l’art de la politique n’est que fourberie cynique et machiavélisme mal compris. Chez les marchands du temple, l’exigence morale est étrangère, par définition, à ce qu’ils appellent le « registre politique ».
S’il fallait trouver une figure exemplaire de loyauté pour dire Fouad Boutros, ce serait certainement celle de l’ambassadeur de Chine Tchang-Kien, du II°s avant JC, pionnier des routes de la soie. Afin de neutraliser les barbares Huns, l’empereur Wou-Ti l’envoya en mission auprès de peuples lointains, les Yue-Tchi d’Asie Centrale en vue de négocier une alliance. Fait prisonnier durant 10 ans, il s’échappa puis traversa les déserts et les hautes montagnes et parvint dans ces royaumes des contrées occidentales. Treize ou quatorze années passent, il retraverse les montagnes et les régions inhospitalières et retourne à Chang-Han, la capitale chinoise, vieux et épuisé. Wou-Ti était encore sur le trône. Tchang-Kien se dirigea vers le palais, se prosterna devant son souverain et dit : « Sire, ma mission est accomplie ».
Si Fouad Boutros était vivant aujourd’hui et s’il était le chef de la diplomatie libanaise, on l’aurait vu prendre son bâton de pèlerin, comme Tchang-Kien, et se précipiter à Ryadh, Téhéran et ailleurs afin de protéger son pays des retombées funestes de l’affrontement irano-saoudien qui embrase tout l’Orient.
Le gardien du temple a préféré s’en aller. Les marchands sont toujours là.
Y aura-t-il, demain encore, un temple à garder ?
Merci d avoir dit tout haut ce que la majorité pense tout bas
Que pourrait-on ajouter a ce commentaire admirable? Rien d’autre probablement que suivre la consigne, ecouter ce que la conscience revele, faire son devoir, et ne pas se preoccuper pas du qu’en dira-t-on.