Après sa rencontre avec le vice-ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Abdellahian, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avait annoncé une initiative pour résoudre la crise présidentielle. Cette initiative était fondée sur un compromis global, incluant la présidence de la République, la formation du gouvernement et l’adoption d’une nouvelle loi électorale. Hassan Nasrallah avait par ailleurs appelé le camp adverse à un dialogue sur ce projet.
Le chef du courant du Futur, le député et ancien Premier ministre Saad Hariri, a saisi la balle au bond, répondant favorablement à la démarche, sur la base d’une initiative qu’il avait lui-même lancée en février dernier sous le nom de « feuille de route pour une solution ». Cette feuille de route accordait la priorité à la fin de la vacance présidentielle. Selon des sources du Futur, M. Hariri devait nécessairement se hâter de répondre par la positive à Hassan Nasrallah parce qu’il avait lancé sa propre initiative depuis longtemps et qu’il n’a eu de cesse, depuis la vacance, d’appeler à une élection présidentielle en répétant qu’il n’a de veto contre personne et que l’important est d’élire un nouveau chef d’État.
Mais qu’a donc dit Abdellahian au Hezbollah après sa longue rencontre nocturne avec son chef et avant son entretien avec le président de la Chambre, puis son départ pour Vienne ? Selon des sources bien informées, le responsable iranien a notifié le parti chiite que « le compromis en Syrie était désormais cuisiné à feu vif, que les contacts allaient bon train dans ce sens et qu’il était donc nécessaire d’accompagner ce développement, lequel devrait déboucher sur un cessez-le-feu sous parrainage international et régional, ainsi que sur le retrait de Syrie de tous les combattants non syriens afin de pouvoir unifier les rangs de l’opposition et de combattre les groupes terroristes ».
Après l’attentat terroriste de Bourj el-Brajneh, Hassan Nasrallah a réitéré sa proposition de compromis global. Le timing n’était pas fortuit : le Hezbollah ne pouvait payer le prix de sa présence en territoire syrien, en raison des pertes non négligeables qu’il subit. De sources bien informées, des responsables du parti chiite auraient même tenu plusieurs réunions pour discuter d’un retrait de Syrie sur base du règlement de la crise en gestation.
Des milieux du 14 Mars ont aussitôt estimé que le compromis signifiait que le chef du bloc du Changement et de la Réforme, Michel Aoun, n’était plus le candidat incontournable, mais qu’il était désormais possible d’aller à la recherche d’un candidat consensuel acceptable de tous, loin des camps en présence. Aucun des responsables du Hezbollah n’a en effet assuré que le général Aoun resterait le candidat du parti dans le cadre de ce compromis.
L’initiative de Hassan Nasrallah, sous le slogan « Nous n’attendons pas que l’étranger nous impose un président », a été accompagnée de positions locales et extérieures appelant à saisir l’occasion pour s’approprier l’échéance en libanisant le choix du président par le biais d’un accord interlibanais sur un candidat dans le cadre d’un compromis global. Un diplomate a ainsi assuré que son pays bénirait tout accord intérieur permettant à la présidentielle d’avoir lieu. Des observateurs ont évoqué un Doha libanais, à travers l’initiative de dialogue de Nabih Berry. L’initiative du secrétaire général du Hezbollah et la réponse positive de Saad Hariri ont donc fait souffler un vent d’optimisme qui a facilité la coordination entre les Libanais pour mettre en place les piliers d’un règlement global et le promouvoir.
Des sources du 14 Mars estiment que le compromis annoncé par Hassan Nasrallah constitue la voie de sortie pour les combattants du parti chiite de Syrie et un moyen pour le Hezb et les composantes du 8 Mars de réaliser des acquis avant le règlement de la crise syrienne. L’occasion pourrait en effet ne plus se présenter par la suite. L’attentat de Bourj el-Brajneh a accéléré encore plus l’initiative Nasrallah, qui bénéficiait déjà d’une attention diplomatique accrue, et l’engouement qu’elle a suscité.
(Lire aussi : Onzième séance de dialogue : (faux-)débat sur l’exécutif et mutisme sur la présidentielle)
La démarche du député Sleiman Frangié intervient dans ce contexte. Il s’agit d’une démarche concrète, qui se veut comme une traduction de l’initiative-compromis de Hassan Nasrallah. Une fois de plus, Saad Hariri a saisi la balle au bond, compte tenu de son souci de combler la vacance présidentielle. Cependant, il a réclamé des clarifications au 8 Mars, notamment concernant l’initiative Nasrallah, sur le sort de la candidature de Michel Aoun. En d’autres termes, qu’il annonce le retrait de l’ancien chef du Courant patriotique libre et ouvre ainsi la voie à la candidature de M. Frangié – et qu’il clarifie les clauses du règlement dans leurs détails, concernant notamment ses propos relatifs à la formation du cabinet et à la loi électorale. Pour le 14 Mars, ceux qui bloquent la présidence de la République, ce sont les composantes du 8 Mars, notamment le Hezbollah et le CPL, soutenus par l’Iran. Partant, il n’est pas demandé à l’heure actuelle à Saad Hariri de déterminer sa position et d’annoncer son soutien à la candidature de M. Frangié. C’est au Hezbollah de le faire, en lâchant M. Aoun pour appuyer le chef des Marada. En bref, c’est au bloqueur de débloquer, pas aux autres.
Cependant, pour certaines sources du 14 Mars, l’affaire Frangié est rien moins qu’un 7-Mai politique. Le 7 mai 2008 avait mené à l’accord de Doha. La candidature de Sleiman Frangié pourrait, à son tour, contribuer à mettre en place un compromis libanais pour résoudre la crise. Mais ces sources reconnaissent qu’il faut d’abord clarifier cette initiative, d’où les contacts qui sont menés loin du feu des projecteurs pour résoudre certaines questions liées à ce nouveau facteur. Plusieurs parties locales et extérieures s’emploient à aplanir les obstacles qui se dressent encore face à cette dynamique, notamment le maintien de la candidature de Michel Aoun, le silence du Hezbollah en attendant la réponse saoudienne à cette initiative, et la position que pourrait prendre Saad Hariri dès demain en faveur de la candidature de M. Frangié. Le 14 Mars attend donc la position de Hassan Nasrallah concernant le sort de Michel Aoun, et pas celle de Riyad, qui affirme accepter le fruit de toute entente interlibanaise.
Selon un ancien ministre, la candidature de Sleiman Frangié est sérieuse et ne constitue pas une manœuvre. Il représenterait ainsi une garantie pour le Hezbollah au lendemain du règlement de la crise syrienne et serait l’homme qu’il faut pour accompagner la transition politique en Syrie. De même, sa candidature permet de briser la polarisation 14/8 et de mettre en place de nouvelles alliances, comme cela est déjà le cas depuis que la rumeur a commencé à grandir.
La montée de la tension entre Moscou et Ankara après la chute du Sukhoï, mardi, augure-t-elle d’une nouvelle confrontation entre Moscou et Téhéran, d’une part, et l’Otan et Washington, de l’autre ? Un tel bras de fer serait en effet de nature à brouiller de nouveau les cartes ou, du moins, à alourdir quelque peu la dynamique Frangié et la perspective d’une solution à la crise. Affaire à suivre.
Beyrouth