ANCIEN patron du Shin Beth, les services de renseignements intérieurs israéliens, Ami Ayalon est l’un des promoteurs de l’initiative de paix People’s Voice.
LE FIGARO. – Quelle est votre réaction à la reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël ?
Ami AYALON.- D’un côté on peut dire que son discours était très pragmatique. Il s’est gardé de définir les frontières de Jérusalem, précisant qu’elles seraient déterminées à l’issue de négociations et il a ajouté qu’il accepte le principe de deux États. Cela signifie que Jérusalem sera le principal objet des pourparlers. Mais la réalité est que le Proche-Orient est une région très particulière. Ce qui semble pragmatique et rationnel ailleurs dans le monde est perçu très différemment ici, spécialement à Jérusalem, où la situation est explosive. D’ailleurs on assiste déjà à des irruptions de violence.
D’un point de vue politique notre premier ministre se réjouit d’avoir remporté un succès. La vraie question est de savoir ce qu’il se passera ensuite. Les prochaines heures seront déterminantes. Notre situation est analogue à celle d’un grand malade du cancer. Les médecins ont essayé toutes sortes de traitements sans succès. Le patient lui-même n’est pas sûr qu’il ait envie d’être soigné. Soudain un médecin décide de lui donner un grand coup sur la tête, pour lui faire comprendre à quel point sa situation est désespérée. Cela aidera-t-il ? Je ne le crois pas. Ça ne favorisera pas la reprise du dialogue entre Israéliens et Palestiniens.
L’Amérique est-elle encore un « médiateur impartial » ?
Je ne sais pas si elle a été perçue comme un médiateur impartial en dehors d’Israël ces dernières années. Mais elle est en train de perdre cette position aux yeux du monde arabe, des pays riverains et bien entendu des Palestiniens.
La solution de deux États est-elle encore viable ?
Toutes les autres solutions aboutiront à deux options. L’une serait une situation à la syrienne de violence militaire continue entraînant beaucoup de morts. En Syrie ils ont commencé à s’entre-tuer pour un conflit portant sur des problèmes mineurs et ils ont fini avec un demi-million de morts. L’autre est un modèle d’Apartheid à la sud-africaine. Ces solutions ne sont pas viables. Elles n’offriront pas à Israël ce à quoi il aspire : un État démocratique du peuple juif vivant en sécurité. Pour sauvegarder cette idée très complexe d’une démocratie juive, la seule option est de parvenir à une solution de deux États vivant côte à côte en paix. Il n’existe pas d’alternative. Pour y parvenir, ce n’est pas un processus linéaire. La dynamique dépend de la volonté des deux peuples.
Est-ce possible avec Donald Trump à la Maison-Blanche ?
Il a tiré un trait sur les travaux de ses prédécesseurs… Toute option qui ne se fonderait pas sur les paramètres gravés dans la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU est vouée à l’échec. L’initiative saoudienne, les paramètres Clinton, les paramètres Bush et Obama, l’initiative de Genève… toutes ces pistes sont très proches et sont parvenues aux mêmes conclusions (la création aux côtés d’Israël d’un État palestinien dans les frontières de 1967, ayant sa capitale à Jérusalem-Est, NDLR). Celui qui pense qu’on peut créer deux États sans respecter ces paramètres ne sait pas de quoi il parle. Et il provoquera beaucoup de violence et de dégâts.
Redoutez-vous un nouveau soulèvement palestinien ?
Les prochaines heures sont cruciales à cet égard. Mais les soulèvements exigent beaucoup d’énergie et je ne sais pas si ce niveau d’énergie existe chez les Palestiniens. Parfois nous sommes capables de percevoir cette énergie, parfois non. Parfois elle est le résultat d’une réponse israélienne disproportionnée à des violences. Beaucoup dépendra de la sagesse des deux côtés. Pas seulement du côté du gouvernement israélien et de l’Autorité palestinienne. La principale force politique aujourd’hui se trouve dans la rue. Sa réaction chez les Palestiniens et en Israël sera déterminante.
Le Hamas appelle à une nouvelle intifada. Faut-il prendre cette menace au sérieux ?
Politiquement le soutien au Hamas est assez faible en Cisjordanie et probablement aussi à Gaza. Mais lorsqu’on parle d’intifada il ne s’agit pas de violences organisées. L’intifada est un soulèvement populaire. Et la question n’est pas de savoir si le Hamas, ou Mahmoud Abbas, est fort ou faible. L’état d’esprit de la rue palestinienne est le principal facteur. D’après ce que je sais, plus de 75 % des Palestiniens pensent que la violence est la seule façon de se débarrasser de l’occupation israélienne.
La société israélienne est-elle prête à accepter un État palestinien ?
Cette idée a rassemblé un fort soutien à une époque. Mais il faut tristement admettre que c’était durant la seconde intifada. Pour qu’elle rassemble de nouveau des soutiens je redoute que nous soyons obligés de souffrir encore. Lorsque des centaines d’Israéliens et de Palestiniens mouraient dans les rues, les deux sociétés étaient prêtes à signer n’importe quel bout de papier leur offrant un avenir meilleur. Les gens devraient prendre conscience que nous n’allons nulle part et que nous sommes en train de perdre notre identité en tant que démocratie juive. Nous ne serons pas en sécurité tant que nos voisins auront le sentiment de vivre sous occupation.
Quel est l’impact régional de la décision de Trump ?
Il voulait créer un front uni entre sunnites face à l’Iran, l’inverse est en train de se produire… Cela fait un an que j’essaie de comprendre ce que cherche réellement Trump. Le problème israélo-palestinien n’est pas le principal conflit au Moyen-Orient. Les dirigeants arabes se fichent totalement de la question palestinienne. Et les Palestiniens ont compris qu’ils sont seuls. Mais le problème est que les dirigeants arabes ont perdu beaucoup de pouvoir et ne contrôlent pas la rue. Au Caire, à Amman, à La Mecque ou en Turquie, les gens ne soutiendront aucune action contre l’Iran avant d’avoir vu des avancées sur le dossier palestinien.
L’idée de créer un axe sunnite pragmatique est essentielle. Nous devons faire barrage au radicalisme, à la violence, au terrorisme. Obtenir des progrès pour les Palestiniens est un préalable incontournable pour la création de toute coalition au Moyen-Orient. Je me demande pourquoi aux États-Unis le président et son entourage sont incapables de le voir. De son côté, l’Europe doit comprendre que le pragmatisme et la réduction de la violence dans notre région sont dans son intérêt. La violence au Moyen- Orient est en train de changer le visage de l’Europe. ■