L’ex-président, Ali Abdallah Saleh, a été tué lundi par ses anciens alliés, les rebelles houthistes, avec qui il venait de rompre. Un coup dur pour l’Arabie saoudite, qui misait sur lui pour défaire les insurgés pro-iraniens.
Ali Abdallah Saleh, qui a dirigé le Yémen pendant trente-trois ans, a été abattu, lundi, au sud de la capitale, Sanaa. Ses partisans y affrontent depuis cinq jours les miliciens chiites houthistes, leurs anciens alliés soutenus par l’Iran.
Il avait miraculeusement échappé à la mort, lors de l’explosion d’une bombe placée à cinq mètres de lui dans la mosquée de son palais, en 2011. Mais lundi, le destin a rattrapé l’ex-président Ali Abdallah Saleh, vieil autocrate de 75 ans, qui a été tué dans une attaque de ses anciens alliés, les rebelles houthistes, avec lesquels il venait de rompre.
Son convoi a été la cible d’une attaque houthiste, alors qu’il circulait dans le quartier de Sanhan dans le sud-est de Sanaa, selon des sources issues de son parti, le Congrès général du peuple. Son fils, Khaled, aurait été fait prisonnier par les insurgés, soutenus par l’Iran et le Hezbollah libanais. Peu après l’annonce de sa mort, des véhicules aux couleurs de la milice houthiste Ansar Allah ont défilé dans les rues de Sanaa, célébrant sa disparition à coups de klaxons. Pendant des heures, l’incertitude avait plané sur le sort de l’ex-raïs. Dans la matinée, des voisins de Saleh rapportaient que les houthistes avaient fait exploser sa résidence dans le centre de Sanaa. En début d’après-midi, le ministère de l’Intérieur (contrôlé par les houthistes) annonçait « la fin de la milice de la trahison et la mort de son chef (Ali Abdallah Saleh, NDLR) et d’un certain nombre de ses éléments criminels », selon un communiqué de la chaîne de télévision des houthistes, al-Massirah.
Au sixième jour des affrontements entre pro-Saleh et les houthistes, les premiers avaient perdu du terrain. « Les partisans de Saleh avaient la haute main durant les premiers jours, explique au Figaro un observateur étranger, joint au téléphone à Sanaa, mais depuis dimanche les houthistes, d’abord surpris par les affrontements avec les loyalistes de Saleh, se sont réorganisés et ont repris la main. » Après une matinée de lundi ponctuée de combats, l’après-midi était plus calme à Sanaa. Mais d’autres régions étaient gagnées par la violence.
La disparition d’Ali Abdallah Saleh constitue un nouveau tournant dans une guerre, qui avait basculé au cours du week-end avec la spectaculaire rupture de Saleh avec ses anciens alliés. Dans un discours télévisé, l’ex-raïs, évincé du pouvoir en 2012 dans le sillage des « Printemps arabes », affirmait qu’il était prêt à « tourner la page » des affrontements avec Riyad et Abu Dhabi, qui depuis 2015 bombardent les positions de leurs adversaires coalisés, houthistes et pro-Saleh. En échange, l’ancien président de la République réclamait des Saoudiens qu’ils lèvent le blocus, qui étrangle la population de ce pays pauvre où les violences ont fait plus de 10 000 morts en cinq ans.
Cette rupture était immédiatement considérée comme une « grande trahison » par les houthistes. D’autant que depuis samedi, les avions de la coalition arabe bombardaient les positions houthistes à Sanaa, dans l’espoir de permettre aux hommes de Saleh de reprendre, à eux seuls, le contrôle d’une capitale, dominée depuis 2014 par les insurgés pro-iraniens.
La mort de Saleh risque de compliquer ces plans. Le gouvernement yéménite en exil en Arabie saoudite comptait sur le revirement de Saleh pour bouter les houthistes hors de Sanaa. Lundi matin, profitant de la décomposition de l’alliance Salehhouthistes, son président, Abd Rabbo Mansour Hadi, a « donné ordre à son vice-président Ali Mohsen al-Ahmar, qui se trouve à Marib (100 km à l’est de Sanaa, NDLR) d’activer la marche vers la capitale », a annoncé un membre de son entourage. Ces derniers jours, les pro-Saleh avaient réussi à s’assurer le soutien des tribus de Khawlane, qui contrôlent l’est de Sanaa. Un appui tribal indispensable dans un pays marqué par la prédominance des clans sur l’État central.
Mais après la mort de Saleh, que vont devenir ses troupes ? Certaines vont vouloir venger leur chef. D’autres pourraient se vendre aux plus offrants. Les pro-Saleh étaient encore nombreux, notamment parmi la garde républicaine, mais dispersés et en quête d’organisation pour lutter efficacement contre les houthistes. Pour les convaincre de rester dans le giron anti-houthiste, le gouvernement Hadi a promis une amnistie à tous ceux qui cessent de collaborer avec les rebelles. Dans le même temps, la coalition sous commandement saoudien a demandé aux civils de se tenir à « plus de 500 mètres » des zones contrôlées par les houthistes. Ce qui laisse supposer une intensification des raids sur Sanaa.
La mort de Saleh tourne définitivement la page de 33 années de règne entre 1978 et 2011 sur la seule république de la Péninsule arabique. Un long bail qui englobe la réunification du Yémen, des guerres multiples contre des insurrections, et une répression de jeunes manifestants en 2011. « La recette de sa longévité réside dans le fait que Saleh était un homme de tribu et qu’il raisonnait en chef de tribu », dit de lui un ancien diplomate français, qui l’a très bien connu. Un manoeuvrier rompu à toutes les alliances pour se maintenir au pouvoir.
Dans un pays de guerriers, « Saleh négociait tout en faisant la guerre », ajoute son vieil ami français. « Un dictateur que les États-Unis connaissent très bien, se rappelle un autre diplomate, puisqu’ils ont travaillé avec lui dans la lutte contre al-Qaida », après les attentats du 11 septembre 2001. Mais en échange du déploiement de forces spéciales américaines sur son territoire, Saleh exigeait du matériel pour son armée ou sa garde républicaine, à la tête desquelles il avait placé son fils Ahmed, ou son neveu Tareq. Le clan Saleh avait amassé une fortune considérable, que des limiers n’arrivent pas à rapatrier depuis qu’il a été évincé du pouvoir en 2012. Une révolte populaire, rapidement kidnappée par les islamistes, ce qui aggravera un chaos dont profitera Saleh pour resurgir, tel le Phénix. Même s’il avait combattu à six reprises les rebelles houthistes, le raïs déchu s’alliera avec eux à partir de 2015 contre ses voisins saoudiens, partis en guerre contre les alliés de l’Iran sur leur flanc sud. Une alliance de pure circonstance, dont il tirait les marrons du feu. Au printemps 2016, l’inoxydable raïs était encore capable de faire descendre un million de personnes dans l’avenue Sabaïn, une grande artère de Sanaa.
Son activisme visait surtout à protéger sa fortune – il possède une propriété dans le sud de la France – son héritage politique avec son parti, le Congrès général du peuple, et sa famille. Son fils Ahmed, réfugié aux Émirats arabes unis, n’avait pas renoncé à reprendre le flambeau. Ce n’est pas un hasard : il est arrivé lundi à Riyad, peu après la mort du patriarche.
Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, il fallait composer avec l’insubmersible Saleh. Celui que son ministre des Affaires étrangères, Abdul Karim al-Eryani, surnommait « le guerrier ». Et même ses amis américains, qui pourtant se méfiaient de lui, reconnaissaient récemment encore que, s’il le voulait, Saleh pouvait jouer « un rôle constructif » dans le dénouement de l’interminable guerre au Yémen.
Alors que ses relations avec ses alliés houthistes s’étaient récemment détériorées, c’est ce réalisme qui avait, une nouvelle fois, convaincu l’Arabie saoudite de remettre dans le jeu leur turbulent voisin. « Saleh avait fini par comprendre qu’il faisait fausse route avec les houthistes, et qu’il devait s’entendre avec l’Arabie », affirme son ami français. Sa disparition est un coup dur pour Riyad, qui avait misé sur son ex-ennemi pour se sortir du bourbier yéménite. « Saleh était un chef courageux, constate le diplomate, il est mort en soldat. » En martyr, soutiennent ses supporteurs, dans un pays où la guerre et la paix se tutoient chaque jour depuis des années.