Près d’une semaine après la promulgation du décret législatif 22/2014 annonçant une « amnistie générale » pour les crimes commis en Syrie avant le 9 juin courant, rien ne permet de savoir l’ampleur des libérations déjà intervenues, annoncées tantôt par « dizaines » et tantôt par « milliers ».
Condamnées à faire le guet aux portes des prisons et à espérer que les familles de détenus leur fourniront des informations sur le sort de leurs membres relâchés et celui de leurs compagnons d’infortune, les organisations syriennes de défense de Droit de l’Homme s’en tiennent pour le moment à un prudent silence.
Elles n’ont malheureusement connaissance jusqu’ici de la remise en liberté d’aucune des figures de premier plan de l’opposition pacifique. Mais nul ne s’en étonnera outre mesure. Indifférent à tout ce qui ne sert pas son maintien au pouvoir, quel qu’en soit le prix, Bachar al-Assad a depuis longtemps fait des activistes, des démocrates et des militants politiques, ses ennemis privilégiés. Il tient à mettre hors d’état de lui nuire ceux qui s’obstinent à réclamer une véritable ouverture et d’authentiques réformes politiques. En mettant et maintenant en prison certains d’entre eux de manière arbitraire, et en formulant à leur encontre des accusations aussi fallacieuses que farfelues… qui peuvent leur valoir la mort, il entend terroriser leurs camarades, les contraindre au silence, les amener à composer avec lui ou à choisir la voie de l’exil hors de Syrie.
En revanche, comme le stipule le texte du décret, Bachar al-Assad ne voit aucun inconvénient à absoudre de leurs crimes les auteurs d’attentats, les membres d’organisations radicales ou les propagandistes du terrorisme. Après tout, n’a-t-il pas naguère facilité l’apparition de ces dangereux criminels ? N’a-t-il pas ouvert devant eux en toute connaissance de cause les portes de ses prisons ? N’a-t-il pas contribué à leur succès auprès de Syriens peu prédisposés au radicalisme ou au fanatisme en réprimant avec une violence sans mesure des manifestations de mécontentement et un mouvement populaire qui se voulaient pacifiques ?
Après plus de trois ans d’un conflit meurtrier dont il est l’instigateur, il n’est plus possible d’ignorer ou de feindre d’ignorer que Bachar al-Assad a besoin du terrorisme. Il lui est nécessaire pour effrayer l’Occident et se présenter comme son meilleur allié dans la lutte contre les terroristes. Il ne luttera jamais réellement contre eux parce qu’ils constituent pour lui, plus encore qu’ils ne l’étaient pour son père, une pièce maîtresse dans la stratégie du chaos qui constitue l’une de ses garanties de survie. C’est pourquoi il est navrant de constater que certains continuent, au nom de « la priorité dans la région (qui) doit désormais être la lutte contre le fondamentalisme religieux », de plaider pour la fin de la « croisade contre Bachar al-Assad » et de suggérer qu’il est temps de « négocier sérieusement un cesser le feu avec le régime syrien »… N’est-il pas plus urgent, en règle générale, de traiter « sérieusement » les causes de l’incendie que de tenter de protéger le pompier pyromane ?
En attendant un premier bilan de la clémence présidentielle, on saluera la libération de la jeune Ranim Maatouq, fille du célèbre avocat et défenseur des détenus d’opinion Khalil Maatouq… qui, mis au secret depuis près de deux ans, n’a pas encore fait sa réapparition. On saluera surtout la libération de l’un des plus anciens prisonniers syriens, exemple s’il en est de l’arbitraire qui caractérise le régime des al-Assad, père et fils (au pluriel) : le capitaine Adnan Qassar. Cavalier émérite, il avait été jeté en prison en 1993 pour un crime abominable : il avait humilié Basel al-Assad.
Lors d’un concours hippique, il avait effectué un parcours impeccable qui avait valu à l’équipe de Syrie de remporter un trophée, hypothéqué par les fautes auparavant commises par l’aspirant au trône présidentiel. Après un séjour dans une cellule de la Sécurité militaire, il avait été transféré au bagne de Palmyre… où il avait été purement et simplement oublié. Il a retrouvé sa liberté, 21 ans plus tard, sans avoir jamais été jugé.