Restes du minaret de la grande mosquée d’Alep (@ AFP. Jalal al-Halabi)
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Dans le cadre d’un « projet de trois ans pour la Sauvegarde d’urgence du patrimoine culturel syrien, financé par l’Union Européenne et lancé en mars 2014 », l’UNESCO a organisé, du 26 au 28 mai dernier, avec le soutien financier du Gouvernement flamand, une « réunion internationale d’experts » intitulée « Ralliement de la communauté internationale pour sauvegarder le patrimoine culturel syrien ». Selon l’annonce diffusée sur le site de l’Organisation, elle devait « réunir des experts dans le domaine du patrimoine bâti et immatériel ainsi que dans celui de la lutte contre le trafic illicite de biens culturels ». Tous les experts étaient sensés participer « à titre personnel et au vu de leur expertise scientifique en lien avec le sujet de la réunion ».
Or, pour des raisons que l’Organisation n’a pas explicitées, plusieurs associations créées en Syrie et hors de Syrie pour œuvrer à la préservation de ce patrimoine, dans les zones sous contrôle du régime comme dans les régions dites « libérées », ont délibérément été marginalisées. Bien que regroupant des archéologues et des architectes syriens et non-syriens ayant longtemps travaillé dans ce pays, elles ont été cantonnées dans un rôle secondaire, leurs représentants n’étant pas admis à présenter une conférence et donc à orienter les débats, mais considérés comme de simples auditeurs et intervenants potentiels dans les discussions. Elles ont donc adressé une lettre à l’UNESCO pour réclamer elles aussi « une voix au chapitre », à côté des associations soutenues par le pouvoir en place. Mais elles n’ont pas obtenu satisfaction. Elles ont appris que ce choix était le résultat de pressions exercées par les autorités syriennes…
Au terme de la réunion, il a été décidé la création d’un Observatoire basé à Beyrouth, qui aura pour mission de « dresser un état des lieux de l’héritage culturel de la Syrie, en vue de combattre les trafics d’antiquités et de collecter des informations pour permettre leur restauration une fois le conflit achevé ».
Il y a tout lieu de redouter que cet Observatoire, s’il ne s’ouvre pas à toutes les associations compétentes ayant pour but la défense apolitique du patrimoine, ne puisse atteindre ses objectifs. Il risque en effet d’être instrumentalisé par le pouvoir syrien pour focaliser les regards sur les actes de vandalisme commis par les « rebelles », alors que les fouilles clandestines et les vols d’antiquités ont lieu sur l’ensemble du territoire et que les forces armées syriennes se sont rendues coupables de destructions de bien plus grande ampleur, bombardant délibérément des mosquées et d’autres lieux de cultes, les premières dans le but de sanctionner la communauté sunnite dont le régime a choisi dès le début de la révolution de faire son « ennemi », les seconds pour déstabiliser les communautés minoritaires et s’assurer de leur soutien.
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Réunion de l’UNESCO sur le patrimoine syrien (26-28 mai 2014)
Les associations syriennes revendiquent une voix au chapitre
L’UNESCO organise à son siège parisien, du 26 au 28 mai prochains, une réunion d’experts intitulée « ralliement de la communauté internationale pour sauvegarder le patrimoine culturel syrien – réunion internationale d’experts ».
[…]
Les participants se divisent en deux catégories : ceux qui présenteront une conférence et orienteront les débats et ceux qui seront présents à titre d’auditeurs et d’intervenants potentiels dans les discussions.
Parmi les experts qui ont été invités par l’UNESCO à cette réunion figurent : l’Association Ila Souria, l’Association pour la Sauvegarde de l’Héritage (SAPAH), le Département de la Ville d’Alep Libre (DAA) et l’Association pour la Protection de l’Archéologie Syrienne (APSA). Ils ont été invités au titre de la seconde catégorie sous la pression de représentants du régime de Damas, comme nous en avons été informés par les organisateurs.
Les associations susmentionnées ont décliné l’invitation de l’UNESCO pour les raisons suivantes :
1) Le programme provisoire que nous avons reçu favorise les représentants du régime dans la mesure où les organisateurs de cette réunion ne permettent pas aux experts ou aux représentants des associations travaillant dans les régions de Syrie qui ne sont pas sous le contrôle du régime de Damas de s’exprimer lors de ce colloque, alors que les représentants du Ministère de la Culture et de la Direction Générale des Antiquités et des Musées de Damas sont représentés dans tous les débats. Nous voyons là un déséquilibre dans le programme.
2) Les dommages causés au patrimoine syrien touchent la Syrie dans son intégralité, y compris les régions nord et sud qui sont sous le contrôle de l’opposition. Si aucune personne ou organisation représentant ces régions n’évoque ces zones qui échappent au contrôle du régime de Damas (menaces, problèmes, propositions de protection en collaboration avec la société civile et les forces sur place dans chaque région), cela signifie-t-il implicitement que ces zones sont placées hors du champ d’action de l’UNESCO ? En effet, les associations citées ci-dessus travaillent sur ces zones et pourraient être un lien entre les organisations internationales et les forces sur place en Syrie pour qu’elles s’engagent dans une collaboration et trouvent les moyens destinés à la protection du patrimoine culturel des zones concernées.
3) Les associations locales basées en Syrie, SAPAH, DAA et APSA, ont fourni jusqu’ici un travail de terrain sans équivalent. Or le podium ne leur est pas ouvert, à l’inverse d’autres experts et ONG qui, à notre connaissance, n’ont mené à ce jour aucune action concrète en Syrie. Par conséquent, il nous semble que les critères de choix des participants au podium ne sont pas clairs. Ils n’ont d’ailleurs jamais été explicités.
Plusieurs actions importantes ont été menées par ces associations à l’intérieur et à l’extérieur de la Syrie et il en reste encore beaucoup à mettre en œuvre. Elles pourraient l’être rapidement et se révéler efficaces, à condition qu’elles puissent être présentées, discutées et soutenues pour protéger l’héritage culturel syrien, mobilier et immatériel. Une question se pose ici : si les associations concernées n’ont pas le droit au podium qui sera en mesure d’évoquer les complications existant sur place, les projets de documentation et de sauvetage à Alep, les projets de lutte contre le trafic d’objets archéologiques, notamment au nord de la Syrie, les méthodes adéquates pour surveiller les sites archéologiques et restaurer certains monuments actuellement menacés d’effondrement ?
APSA, SAPAH, DAA et Ila Souria défendent le principe d’une collaboration aussi large que possible sur le chapitre de la protection du patrimoine syrien. Est-ce ce principe de pluralisme et de neutralité qui a présidé au choix des participants au podium ? Ou la pression de Damas a-t-elle joué ?
Est-il besoin de rappeler que les États membres de l’ONU ont, pour beaucoup, déclaré illégitime le gouvernement de Damas, reconnu la Coalition comme seule représentante de la Syrie, jusqu’à l’installer récemment en représentation diplomatique sur leur sol ? L’UNESCO doit-elle se départir de cette volonté de pluralisme affichée par l’ONU elle-même ? Le patrimoine syrien appartient à tous les Syriens, fussent-ils à Alep ou à Damas. Ce sujet, du fait de son lien profond à la question de l’identité du pays, ne peut souffrir l’approche partisane qui se prépare.
Pour les raisons que nous venons d’exposer, les associations Ila Souria, SAPAH, DAA et APSA demandent la modification du programme et un accès légitime au podium de cette réunion pour que tous les invités soient traités équitablement, indépendamment de leurs positions politiques, parce que l’objectif de cette réunion est la protection du patrimoine syrien et que les parties impliquées dans le conflit devraient pouvoir débattre du sujet de façon neutre.
Dans le cas contraire, elles seront au regret de décliner l’invitation qui leur a été faite.
Par ailleurs, aucun organisme officiel ou civil, ou expert de l’opposition participant à cette réunion ne représentera nos associations lors de ce colloque.
Nous invitons toute personne, organisme ou coordination souhaitant soutenir notre cause à nous contacter par e-mail aux adresses suivantes :
apsa2011syria@gmail.com ou contact@ilasouria.org