ans la lutte de clans au sein du pouvoir iranien, le président Mahmoud Ahmadinejad est en train de marquer des points, en s’appropriant les leviers du pouvoir économique : Ebrahim Sheibani a été prié de démissionner de la présidence de la Banque centrale d’Iran, le 26 août ; Kazem Vaziri, ministre du pétrole, et Ali-Reza Tahmasebi, ministre de l’industrie, avaient subi le même sort, le 12 août.
Ils s’étaient opposés aux tentations populistes du président, le premier refusant de baisser les taux d’intérêt exigés par une inflation galopante de plus de 17 % et les deux autres jugeant suicidaires les blocages des prix et le gaspillage de la rente pétrolière.
Au premier abord, l’économie iranienne ne se porte pas mal. Sa croissance tourne autour de 5 % l’an ; l’excédent de sa balance courante devrait dépasser les 19 milliards de dollars (14 milliards d’euros) réalisés en 2005-2006 grâce à un baril à plus de 70 dollars qui lui a valu 51 milliards de dollars de recettes ; les réserves en devises garantissent plus de dix mois d’importations ; la dette extérieure est contenue à 20 % du produit intérieur brut (PIB).
La réalité est plus sombre. Le président avait promis durant sa campagne électorale « d’apporter l’argent du pétrole à la table des Iraniens » et de « lancer une campagne en faveur des déshérités ».
Pour cela, il a aggravé le déficit budgétaire et augmenté de 55 % les dépenses de fonctionnement de son gouvernement. Il a puisé 10 milliards en 2005 et 17,4 milliards de dollars en 2006 dans le fonds de stabilisation pourtant destiné à constituer des réserves en période de cours élevés du pétrole ! Sans résultat.
Ses tournées en province en compagnie de son gouvernement coûtent une fortune, mais la presse réformatrice dénonce le fait que 90 % des promesses n’ont pas encore été tenues. L’économiste Seyed Leylaz confirme : « On a atteint les limites du populisme. Le président Rafsandjani était libéral ; son successeur Khatami, une sorte de socialiste ; Ahmadinejad, lui, n’a aucune ligne directrice, seulement des projets à court terme. On est en train d’injecter dans l’économie toutes les liquidités de l’argent du pétrole pour mener cette politique. »
« AUGMENTATION DE LA PAUVRETÉ »
En juin, 57 économistes iraniens ont publié une lettre ouverte au président pour mettre en garde contre ces politiques désordonnées « qui vont à l’encontre des objectifs de justice affichés » ; ils soulignaient « une augmentation de la pauvreté » due à des « décisions non scientifiques et précipitées » (Le Monde du 15 juin). Les loyers ont été multipliés par sept en deux ans à Téhéran.
Même si elle était inévitable afin de réduire les 5 milliards de dollars d’essence raffinée qu’importe l’Iran chaque année, le rationnement du carburant a symbolisé l’impéritie du pouvoir, le 27 juin. Cent litres par mois pour les particuliers, 800 litres pour les taxis officiels et un prix augmenté de 20 %, soit 1 000 rials (0,080 euro) le litre au lieu de 800, ont déclenché des émeutes, car les habitants de Téhéran se servent de leur voiture comme taxi « au noir » pour compléter leur maigre salaire.
Autres menaces : pour stopper le programme nucléaire iranien, les Américains mettent en place un blocus qui contraint les banques européennes à cesser leurs activités en Iran, la dernière étant la Dresdner Bank, le 21 août. Depuis le mois de juillet, leurs fonds de pension font pression sur les majors pétrolières, dont ils sont actionnaires, pour qu’elles se retirent d’Iran.
Si les Etats-Unis classent dans la catégorie des terroristes les Gardiens de la révolution, l’étau se resserrera, car les Pasdarans – auxquels le président a appartenu – contrôlent des pans entiers de l’économie, du pétrole jusqu’à l’aéroport Khomeiny en passant par le BTP. Les capitaux continuent donc à déserter la Bourse de Téhéran pour celle de Dubaï.
M. Ahmadinejad pliera-t-il ? Peu vraisemblable, répond Thierry Coville, auteur du livre Iran, la révolution invisible (La Découverte) : « Il est dans la position du président vénézuélien Chavez et profite de recettes pétrolières records ; il n’a guère peur des sanctions. » Et, plus on parle de renforcer ces sanctions, plus le cours du baril augmente.
LE MONDE
alain Faujas