Face à la détermination toujours plus forte des Iraniennes qui aspirent à se libérer du voile obligatoire, le régime de Téhéran impose de nouvelles méthodes de contrôle et de répression. Vidéosurveillance, délation, agents en civil, la population elle-même est encouragée à sévir face aux récalcitrantes.
Téhéran (Iran)
De notre correspondant
Les rues de Téhéran se transforment avec l’arrivée du printemps. Jeunes filles et femmes de tous âges en tenues estivales laissent leurs cheveux flotter au gré du vent. Elles sont de plus en plus nombreuses, depuis le début des manifestations en septembre contre le port obligatoire du hidjab, à se promener ainsi, tête nue, au mépris du code vestimentaire islamique. Alors même que défendre ses droits et s’émanciper du hidjab est toujours aussi risqué, la loi en la matière n’ayant pas évolué malgré la contestation.
Ces Iraniennes suscitent l’admiration de certains, la réprobation des autres. Mais des femmes couvertes de longs voiles noirs et accompagnées d’hommes du Bassidj (milice des Gardiens de la révolution) sont toujours là pour rappeler les jeunes filles au bon respect du hidjab, que ce soit par des supplications, des remarques gentilles, de la violence ou de l’humiliation.
Baran Qezlou garde désormais son foulard dans son sac. Elle le porte le moins possible, mais sait que les femmes sans hidjab ne sont pas servies dans les banques et dans d’autres lieux publics. La Constitution ne subordonne pourtant pas l’accès à ces services au port du hidjab, y compris dans le secteur privé. L’étudiante en design industriel de 22 ans arbore une frange courte et porte une chemise blanche sur un jean. Son frère et ses parents, avec qui elle vit, la soutiennent, qu’elle porte le foulard ou non. Même son patron ne lui impose pas de le porter dans le café de la rue Shariati, dans le nord de la capitale, où elle travaille comme serveuse. Au quotidien, c’est dans la rue ou dans le métro que Baran subit l’hostilité de personnes radicales et progouvernementales. « Je sens constamment le regard pesant de nombreuses personnes sur moi, et cela me stresse d’y être confrontée dans les lieux publics. Même si beaucoup de gens sont d’accord avec moi, la tension est palpable dans la rue, explique la jeune Téhéranaise, qui entend parfois des obscénités et des insultes pour lui demander de respecter les règles du gouvernement et de changer de vêtements. «Néanmoins, je suis heureuse que, en choisissant de porter ou non le voile, les femmes de ma génération reprennent le droit qui leur a été dénié depuis la naissance », affirme la jeune femme.
Beaucoup d’Iraniennes n’envisagent pas de revenir en arrière. La pression politique ne retombe pas, mais prend des formes nouvelles. Esmail Kosari, représentant de Téhéran au Conseil islamique, a ainsi récemment annoncé son intention d’utiliser les caméras de la capitale pour identifier et punir les personnes qui enfreignent les lois sur le hidjab. Les femmes prises en flagrant délit de violation des règles recevront d’abord un avertissement, a-t-il prévenu, menaçant de graves conséquences juridiques les récidivistes. Le chef de la police nationale, Ahmadreza Radan, a également fait savoir que les autorités séviraient dans les lieux publics et dans les voitures.
De nombreuses Iraniennes composent avec ces restrictions, mais ne s’y plient plus. Mahshid Imani, professeure d’allemand de 31 ans, en a fait l’expérience lorsqu’elle et son amie ont été empêchées d’embarquer sur un vol parce qu’elles ne portaient pas le hidjab. Attablée dans un café de Saadat Abad, où quelques autres groupes de jeunes sont réunis, Mahshid raconte comment elle et ses amies se sont aussi vu refuser le service dans un célèbre restaurant, sur ordre des autorités, parce qu’elles ne portaient pas le hidjab.
Certaines étaient prêtes à céder, en mettant le foulard autour du cou, mais la bande a finalement décidé d’aller manger ailleurs. « Suivre ou ne pas suivre les ordres des autorités est une décision personnelle. Et je dépenserai mon argent là où l’on respecte mon choix », campe Mahshid, qui lance à la serveuse, en sirotant son café : « Vos cheveux sont magnifiques, ce serait dommage de les couvrir ! » L’employée lui sourit en retour. Pour Mahshid, il faut saluer le courage des Iraniennes et se soutenir mutuellement.
À leur détermination, la République islamique oppose, comme depuis des années, l’adage « ordonner ce qui est bien et interdire ce qui est mal ». Le ministre iranien de la culture et de l’orientation islamique, Mohammad Mahdi Esmaili, a récemment affirmé lors d’une interview télévisée que 80 % de la population iranienne était favorable au hidjab islamique, sans fournir de détails sur la manière dont ces statistiques avaient été recueillies. Le haut responsable a exhorté les 20 % restants à suivre les règles et a même proposé d’organiser des festivals culturels pour promouvoir le hidjab.
Le pouvoir présente ainsi le voile obligatoire comme le souhait du peuple vertueux. « Après le temps du harcèlement par la police des mœurs, ce sont maintenant des hommes et des femmes du Bassidj qui mettent en garde les passants habillés, selon eux, de manière inappropriée. Et on dirait que les agents de la police des mœurs agissent désormais en civil », explique la militante des droits de la femme Parto Madani. « Leur tenir tête est considéré comme un délit. Et si la police ou les autorités judiciaires interviennent, la personne ”fautive” est considérée comme coupable. Il n’existe pourtant pas de loi spécifique à cet égard, et leur comportement, arbitraire, porte atteinte au droit », ajoute-t-elle.
Parto Madani, 35 ans, a beau se considérer comme religieuse, elle ne croit pas au hidjab imposé par la République islamique. La militante, qui travaillait auparavant dans une bibliothèque gouvernementale à l’est de Téhéran, a été licenciée il y a quelques mois, après avoir été repérée dans des manifestations.
Pour elle, la stratégie du pouvoir vise à créer une atmosphère étouffante. Le régime, dit-elle, encourage le conflit au sein de la population comme technique pour réprimer les récalcitrantes. Le procureur de la ville de Birjand a même demandé aux citoyens de dénoncer à la police les voisines qui ne respectent pas le port obligatoire du hidjab. Et certains députés suggèrent désormais d’imposer de lourdes sanctions financières à celles qui ne respectent pas le code vestimentaire de la République islamique.