Les États-Unis, qui menaçaient depuis plusieurs années de prendre de telles sanctions, sont décidés à couper le robinet irakien qui permettait aux gardiens de la révolution iranienne, placés sur la liste des organisations terroristes par Washington, de se financer à partir du voisin irakien, où Téhéran jouit d’un important réseau d’influences.
Un diplomate irakien à Bagdad décrit le mécanisme : « La banque centrale irakienne vend chaque jour des dollars que des banques privées achètent avant de les transférer en Iran. Mais ces banques ne sont bien souvent que des vitrines des gardiens de la révolution. Ce n’est pas normal que des Irakiens acceptent de jouer le jeu iranien. Cela revient à travailler contre son propre pays, ils détruisent notre économie. »
À Bagdad, l’impact s’est déjà fait sentir : le dollar s’est renchéri au détriment du dinar, la monnaie locale, plaçant des épargnants irakiens en position difficile. Mais face au régime iranien, qui réprime ses opposants et poursuit ses ambitions nucléaires, Washington paraît décidé à resserrer l’étau contre les tout-puissants gardiens de la révolution (pasdarans). « Cet argent venu d’Irak leur servait à financer une grande partie de leurs opérations extérieures en Syrie et au Liban notamment », confie une source informée dans le Golfe. La plupart des pays arabes ainsi que l’Europe et les États-Unis jugent déstabilisatrices ces opérations extérieures iraniennes. Désormais, les gardiens de la révolution, qui contrôlent une part importante de l’économie iranienne, devront puiser dans leurs propres caisses ou celles du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, dont ils dépendent.
Remontée des cours du pétrole
« Les Américains regardent toutes les transactions, une par une, pour s’assurer qu’il n’y a pas un Iranien qui, in fine, en bénéficie, explique la source dans le Golfe. Avant, lorsque la Trade Bank of Irak, la banque irako-américaine qui gère des fonds irakiens à New York depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, demandait par exemple 5 milliards de dollars, les Américains mettaient leur accord et renvoyaient les fonds dans les 24 heures à Bagdad. Il y a deux mois, la procédure a commencé à prendre quinze jours, puis trois semaines et maintenant, ils bloquent les transferts », ajoute cet expert.
Outre les pasdarans, une autre partie de ces transferts venus d’Irak servait, selon lui, à alimenter la chambre de compensation du marché des changes à Téhéran. Ce manque à gagner a contribué à la chute du rial iranien, depuis quelques mois.
Toujours selon cet expert, « le gouvernement iranien, qui n’a pas su réagir rapidement, a fait payer au gouverneur de la banque centrale cette erreur en le remplaçant. Il fallait une tête pour le public. Mais d’un autre côté, ajoute-t-il, les responsables iraniens se sont aperçus que ces pressions américaines et leur mauvaise gestion du problème avaient eu finalement un effet positif puisque les Iraniens sont désormais concentrés sur des sujets économiques et non plus sur la réclamation de davantage de liberté. »
La pression américaine s’explique aussi par le fait qu’avec la remontée des cours du pétrole, principale source de revenus de Bagdad, l’Irak dispose d’importantes réserves financières, dont Washington compte surveiller la répartition. D’autant que le nouveau premier ministre irakien, Mohammed Chia al-Soudani, est considéré comme proche des groupes politiques ou paramilitaires qui entretiennent à Bagdad de bonnes relations avec l’Iran. C’était moins le cas de son prédécesseur, Mustapha al- Kazemi. Dans des confidences au Figaro en septembre, avant de quitter son poste, l’ancien premier ministre racontait comment il avait imposé au général iranien Esmaïl Qaani, le patron de la Force al-Qods, le bras armé des gardiens de la révolution hors de leurs frontières, de rentrer en Irak comme tout dignitaire étranger. C’est-à-dire en demandant un visa, et non plus en s’affranchissant de toutes les règles, comme le faisait son prédécesseur, Qassem Soleimani, qu’un drone américain a tué le 3 janvier 2020 peu après son arrivée à l’aéroport de Bagdad, ainsi que son adjoint irakien, Abou Mahdi al-Mohandes. Pas sûr que l’actuel chef du gouvernement irakien puisse tenir tête à ses voisins iraniens. G. M.