Une étude américaine mesure l’impact du climat sur les demandes d’asile dans l’Union européenne.
CYRILLE VANLERBERGHE @cyrillevan
CLIMAT De nombreuses études ont été menées pour tenter de voir l’impact du réchauffement climatique sur l’immigration dans le monde, mais les données sont souvent partielles, limitées à des pays ou à des régions du monde. Deux chercheurs de l’université Columbia à New York publient dans la revue Science une étude très large, prenant en compte 103 pays et la variation du nombre de demandeurs d’asile dans l’Union européenne, de 2000 à 2014, avant la période de troubles en Syrie et en Afrique du Nord qui ont déclenché la crise migratoire actuelle.
Ils constatent un effet très net des hausses des températures sur le nombre de migrants. Plus les températures augmentent, plus les arrivées en Europe s’accroissent. « On constate que dès qu’on s’éloigne d’un optimum autour de 20°C dans le pays d’origine, on a une augmentation du nombre de demandes d’asile dans l’Union européenne, explique Anouch Missirian, jeune chercheuse française à l’université Columbia et premier auteur de la publication. Et l’effet est plus fort quand les températures augmentent que quand elles décroissent. » Autre conclusion importante, plus la température moyenne dans un pays est élevée pendant la saison des cultures, plus le réchauffement aura un impact important sur le nombre de déplacés. À réchauffement égal dans le futur, le Niger (30 °C en moyenne) risque par exemple d’être plus touché par une augmentation de 1 °C que l’Afghanistan (21 °C en moyenne). Dans les pays où la température moyenne pendant la saison des cultures est aujourd’hui inférieure à 20°C, comme la Serbie ou le Pérou, le réchauffement devrait en revanche réduire le nombre de personnes poussées à l’émigration.
Cette température « optimale » proche de 20 °C n’est pas vraiment une surprise, puisqu’elle correspond en fait à l’optimum connu pour la productivité des cultures céréalières, telles que le maïs ou le riz, qui sont la principale ressource alimentaires pour de nombreuses populations dans le monde. «Ça nous a un peu rassurés de trouver que l’optimum était à 20°C, puisque cela confirme que l’impact du climat sur l’agriculture a bien des conséquences pour l’immigration », précise Anouch Missirian. Le deuxième auteur des travaux, Wolfram Schlenker, a beaucoup travaillé sur l’effet des températures sur les rendements des céréales aux États-Unis.
Doublement des flux migratoires vers l’Europe
«Ce résultat est très intéressant car il confirme à grande échelle, sur un très grand nombre de pays, ce qu’on peut observer avec les études qualitatives que l’on a réalisé en certains points du monde », commente François Gemenne, directeur de l’observatoire Hugo sur les migrations et l’environnement à l’université de Liège (Belgique) et chercheur à Sciences Po à Paris. « Les variations climatiques ont clairement un impact sur les flux migratoires, même si ce n’est jamais la seule cause. La moitié de la population en Afrique dépend de l’agriculture de subsistance, et dès qu’il y a une baisse des récoltes, il y a une perte directe de revenus, et un impact sur l’immigration. Les migrants économiques peuvent aussi être des migrants climatiques. »
La chercheuse a fait un énorme travail pour caler les archives climatiques mondiales de l’université du Delaware avec les zones agricoles recensées dans 103 pays, et regarder l’impact des écarts de températures. Les chiffres de demandes d’asile en Union européenne proviennent des bases de données du HautCommissariat aux réfugiés, qui sont librement accessibles sur Internet. Ils montrent une hausse constante du nombre de demandes d’asile : de 200 000 en 2006 on passe à 626 000 en 2014 avant d’exploser en 2015 et 2016 (1,2 million chaque année) du fait de la guerre en Syrie et en Irak. Ces travaux ont en partie été financés par le JRC, un centre de recherche de la Commission européenne qui s’intéresse à l’impact futur du climat sur les migrations.
Après avoir constaté l’effet du réchauffement sur les migrations pour la période 2000-2014, les chercheurs de Columbia ont fait une projection, pour tenter de voir quel effet pourrait avoir un réchauffement donné. Et leurs résultats font froid dans le dos. Dans le meilleur des scénarios climatiques, avec une réduction forte des émissions de gaz à effet de serre, la hausse des demandeurs d’asile dans l’UE serait d’environ 28 % à la fin du siècle.
Si on suit en revanche la trajectoire actuelle d’émissions de gaz à effet de serre, ce qui produirait un réchauffement autour de 4 °C en 2100, le flux migratoire vers l’Europe devrait doubler, avec 350 000 demandeurs d’asile de plus chaque année. Mais la chercheuse française reconnaît elle-même les limites de ces projections. « Nous ne voulons pas prétendre prédire l’avenir. Ce modèle donne des ordres de grandeur, mais ne tient pas compte des mesures d’adaptation possibles, comme des cultures plus résistantes à la sécheresse par exemple, qui peuvent réduire l’impact du réchauffement. »