Selon le président de la Chambre, Nabih Berry, le compromis Frangié est toujours une option viable, mais se heurte à des obstacles au plan intérieur – le rejet du Hezbollah et des principaux pôles chrétiens, chacun sur base d’un calcul différent – sans générer de contestation des parties extérieures. L’initiative rencontre le soutien requis de l’Arabie saoudite, et toutes les parties sont appelées à contribuer à résoudre ce problème en accélérant l’élection d’un président de la République, ajoute M. Berry. Les propos du président de la Chambre constituent une réponse aux prises de position de certaines parties, selon lesquelles « le compromis est mort-né et ne verra plus jamais le jour ». Est-il cependant possible de faire échec, au plan intérieur, à un compromis qui est fortement appuyé par l’extérieur ?
C’est d’ailleurs en substance ce que le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, a affirmé lors de sa dernière homélie dominicale, lorsqu’il a exprimé son soutien à « la nouvelle initiative sérieuse », sans limiter son soutien au nom proposé. Les propos du patriarche interviennent au lendemain de l’absence remarquée des pôles maronites chrétiens à Bkerké, qui ont boycotté la messe de Noël. Seuls l’ancien président de la République Michel Sleiman, les anciens ministres Ziyad Baroud et Farid Haykal el-Khazen et le député Nehmetallah Abinasr ont répondu présent, ce dernier précisant qu’il se trouvait là en son nom personnel, et pas en tant que représentant du bloc du Changement et de la Réforme. Le boycott de Bkerké était manifeste et s’est accompagné d’une attaque ciblée par un média télévisé d’un parti chrétien du 8 Mars contre le patriarche lui-même, accusé de souffrir d’un « alzheimer spirituel » et « d’appuyer (dans le cadre du soutien au compromis Frangié) les parties extérieures qui soutiennent ceux qui massacrent les chrétiens en Syrie et en Irak ».
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Selon une source diplomatique bien informée, la communauté internationale souhaiterait l’élection d’un président de la République sans trop se préoccuper de l’identité de ce dernier, dans la mesure où les parties libanaises, et chrétiennes en particulier, assument cette responsabilité. L’année 2016 pourrait être trop accaparante en négociations et en développements au niveau régional pour que le monde reporte son attention sur le Liban. Washington ne souhaite pas ouvrir des négociations avec les parties régionales sur l’échéance présidentielle libanaise, notamment l’Iran, qui n’a toujours pas exprimé un soutien franc à l’initiative Hariri, se contentant de renvoyer ses interlocuteurs au Hezbollah. Une attitude qui prouve que Téhéran ne souhaite toujours pas abattre la carte de la présidentielle qui lui permettrait, au moment opportun, de faire pression dans le cadre des négociations régionales attendues. L’Iran se contente ainsi pour l’instant de souhaiter l’élection d’un président dans les plus brefs délais, mais, pratiquement, cela ne se traduit d’aucune manière, puisque le Hezbollah rejette jusqu’à présent l’initiative Hariri.
Le parti chiite souhaite en effet préserver cette carte à son maestro iranien, en attendant de savoir de quelle nature sera le règlement de la crise syrienne et quel sera le sort de Bachar el-Assad. En d’autres termes, il souhaite continuer à lier le dossier syrien à celui de la présidentielle. De plus, le Hezbollah ne veut en aucun cas livrer le pouvoir au Liban au 14 Mars, et donc continue de faire obstacle au retour de Saad Hariri au Grand Sérail. Le parti pro-iranien ne veut pas non plus se contenter d’avoir le dernier mot sur la présidentielle, car tout marché viable doit, pour lui, constituer un package deal sur les différents dossiers qu’il a lui-même énumérés (loi électorale, portefeuilles ministériels, morphologie du cabinet, etc.). Il tient aussi à préserver sa principale couverture chrétienne, Michel Aoun, sans perdre pour autant son alliance avec le leader des Marada, Sleiman Frangié. Il faut ajouter à cela que le Hezbollah se fait un devoir d’être lui-même le cerveau et le moteur de tout compromis éventuel, rôle qu’il ne saurait léguer, quelles que soient les circonstances, à Saad Hariri. Enfin, le parti chiite craint qu’il ne soit, à l’avenir, la victime de ce règlement, surtout après les sanctions adoptées par le Congrès américain contre lui.
Jusqu’à quand l’Iran et ses alliés locaux continueront-ils à paralyser la présidence de la République, à boycotter les séances électorales et à refuser les compromis ? s’interroge un député du bloc du Futur. Certaines des composantes du 8 Mars ne veulent tout bonnement pas l’élection d’un président, comme le prouve l’attitude des députés du tandem CPL-Hezbollah qui se cachent derrière le prétexte que seul Michel Aoun devrait être élu parce qu’il serait « le plus fort des chrétiens ». Pour le 8 Mars, la communauté internationale est incapable d’imposer elle-même le futur président et les parties internes peuvent saboter un tel compromis, comme le prouve le gel du projet Frangié. Ces sources estiment qu’il est quasi impossible de réanimer l’initiative Hariri au début de la nouvelle année, contrairement aux sources du courant du Futur, qui pensent que cela est tout à fait possible. D’autant, soulignent les sources du Futur, que les opposants à l’initiative n’ont rien proposé comme alternative.
Une source diplomatique pense en effet qu’il est peu probable que la scène interne puisse mettre en péril l’initiative sans proposer d’alternative, comme le dit aussi le patriarche Raï. Mais les quatre pôles maronites refusent de se rendre à Bkerké pour soulever la possibilité d’une alternative, afin de ne pas répéter l’expérience précédente et parce que toute rencontre au patriarcat serait considérée comme un soutien à l’initiative Frangié. De même, une entente entre Amine Gemayel, Michel Aoun et Samir Geagea sur un candidat n’appartenant pas au cercle des chefs maronites paraît de l’ordre de l’impossible.
C’est pourtant ce que continue de proposer Bkerké en cas de rejet catégorique de Sleiman Frangié : une entente sur un candidat non politique, issu du monde des finances ou de l’économie. Il reste que les efforts pour revitaliser l’initiative Hariri devraient reprendre de manière accrue à partir du début de l’année prochaine, de façon, estiment certains milieux diplomatiques, à ce qu’elle soit couronnée de succès avant la fin du mois de février, après le retour des diplomates de vacances.