Valeri Tsepkalo: «Moscou doit obliger le président à parler à l’opposition»

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ENTRETIEN – Cet ex-candidat à la présidentielle et opposant au régime Loukachenko évoque au Figaro la situation politique en Biélorussie et décrypte les relations de cette dernière avec la Russie.

 

Par Emmanuel Grynszpan

Candidat charismatique exclu de la présidentielle du 9 août, fondateur de la «Silicon Valley biélorusse», Valeri Tsepkalo, 55 ans, a dû se réfugier le 24 juillet en Pologne. Diplomate de carrière, il fit longtemps partie du régime Loukachenko jusqu’à son passage surprise dans l’opposition cette année. Son épouse Veronica a mené la campagne avec la candidate Svetlana Tikhanovskaïa qu’il soutient, tout en conservant sa liberté de parole.

LE FIGARO.- Vous avez longtemps travaillé au sein du régime Loukachenko. Quel est aujourd’hui l’état d’esprit dans l’élite?

Valeri TSEPKALO.- Nous n’avons pas d’élite à proprement parler en Biélorussie. Elle ne s’est jamais constituée parce que Loukachenko change sans cesse le personnel politique. En vingt-six ans, nous avons eu dix premiers ministres et cinq cents ministres. Il prend les gens et les jette à la poubelle. Il déracine tout le monde, en particulier ceux qu’il voit devenir compétents. C’est sa tactique pour conserver le pouvoir, afin qu’aucune forme de contre-pouvoir n’émerge jamais.

Loukachenko refuse d’engager le moindre dialogue avec l’opposition, il ne parle plus aux Occidentaux. Qui peut faire office d’intermédiaire?

La médiation est impossible. Il est incapable de faire le moindre compromis. D’où les résultats électoraux monstrueux, la falsification au-delà du raisonnable. Il aurait pu se contenter de dessiner le chiffre de 57 %, mais non, il lui fallait un chiffre écrasant et monstrueux de 81 % pour montrer à la société qu’il est un leader absolu. C’est dans sa mentalité. C’est ce monstrueux mensonge qui a poussé les Biélorusses dans la rue.

Un expert a émis l’hypothèse que l’opposition avait commis une erreur au départ, en menaçant de représailles les siloviki (structures de sécurité), qui semblent aujourd’hui être le dernier pilier du régime.

Non, il n’y a jamais eu de menaces de notre part contre les siloviki. Elles ne sont venues qu’après la vague de répression (qui a suivi le scrutin, NDLR). Pour Loukachenko, l’idée était de plonger leurs mains dans le sang pour qu’ils ne puissent plus revenir en arrière.

Que pensez-vous de la tactique de résistance passive prônée par l’opposition sur certains réseaux: ne pas payer ses impôts, acheter des devises, boycotter les entreprises d’État, ou arracher leurs masques aux policiers pour les identifier?

Nous soutenons toutes ces tactiques de résistance non violente. Les choses vont évoluer sur plusieurs mois, comme pour Solidarnosc (en Pologne, au début des années 1980). Il y aura inévitablement un grand passage à vide. Mais regardez la Pologne aujourd’hui, elle a su rebondir. C’est l’un des pays les plus développés d’Europe. Il faut affaiblir les fondations économiques du régime au point qu’il ne puisse plus rémunérer ses policiers, beaucoup plus nombreux que les professeurs d’université!

Vous êtes un diplomate formé au MGIMO, une école de l’élite russe. Avez-vous encore des contacts avec Moscou qui assure n’avoir aucun lien avec l’opposition biélorusse?

Nous n’échangeons plus qu’à travers des lettres ouvertes… La Russie doit mûrir pour parler avec l’opposition au lieu de s’enfermer dans un soutien aux dictateurs. Elle doit obliger Loukachenko à dialoguer avec l’opposition. Si la Russie le soutient aujourd’hui, c’est parce qu’en diplomatie, on n’effectue pas de virages à 180 °. Ce virage sera effectué tôt ou tard, parce que Moscou sait qu’elle doit avoir de bons rapports avec le peuple biélorusse et pas avec Loukachenko.

La révolte vise Loukachenko, sans revendications géopolitiques, à la différence du Maïdan ukrainien. Mais le fait que Moscou le soutienne, alors que les Occidentaux se montrent solidaires de l’opposition, ne risque-t-il pas d’abîmer les liens avec la Russie?

Quel que soit le comportement des dirigeants russes, la personne qui remplacera Loukachenko n’aura d’autre choix que de dialoguer et d’avoir de bonnes relations avec la Russie. Il ne s’agit pas que d’économie. La proximité culturelle entre nos deux pays est trop profonde.

Cette proximité n’était pas moindre dans le cas de l’Ukraine. Or, les deux pays se tournent le dos aujourd’hui…

Je ne peux pas être certain à 100 % que cela n’arrivera pas. Mais si cela dépendait de moi, je veillerais à développer les liens avec la Russie. Il serait stupide de se priver d’un tel allié. Cela n’empêche en rien de développer nos relations avec l’Occident, avec lequel nous partageons les valeurs démocratiques. Nous ne voulons pas pour autant entrer dans l’UE, ni dans l’Otan. En tout cas, c’est ma position.

Lundi, MM. Loukachenko et Poutine se rencontrent à Sotchi. Beaucoup craignent que la Russie puisse profiter de la faiblesse du régime pour grignoter sa souveraineté…

Ce risque est exagéré. Ce serait problématique pour la Russie à cause de la réaction négative de la population, mais aussi d’un point de vue juridique. Il faut d’abord restaurer la stabilité et seulement dans un second temps, construire des plans à long terme. La Russie a plutôt intérêt aujourd’hui à réparer ses relations avec l’Occident. Si Loukachenko reste au pouvoir, l’économie sera détruite et il y aura un exil massif de la population. Le pays perd déjà 45.000 personnes par an, mais ce sera bien pire.

Que pensez-vous de l’attitude de Paris et de Berlin qui préfèrent «garder des canaux de communication ouverts» avec Loukachenko, plutôt que d’imposer des sanctions?

Ils pensent encore qu’en appelant Loukachenko au téléphone, ils pourront le convaincre de quitter le pouvoir. C’est une grosse erreur. Il faut absolument imposer des sanctions personnelles visant les responsables de la falsification des élections et des violations des droits humains. L’Occident devrait révéler au grand jour par quels intermédiaires l’argent de Loukachenko est dérobé et blanchi, et à quelle échelle. Ces révélations permettront de convaincre les fonctionnaires qui le soutiennent encore. Ce serait un coup de grâce qui précipiterait la fin du régime.

LE FIGARO

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