Toute la question est de savoir ce qu’il entend par « Nous ». Car de deux choses l’une, soit il parle de lui-même au pluriel (ce qui n’est pas étonnant dans nos contrées), ou bien (et c’est plus vraisemblable), ce « Nous » signifie tout simplement « Moi et Lui ». Les esprits malsains ne manqueront pas de faire le rapprochement avec le titre d’un livre hilarant d’Alberto Moravia, mais qu’ils se rassurent, ce n’est que pure coïncidence !
« Nous prouverons à tous ceux qui en doutent que la Syrie donnera au Liban ce qu’il demande et ce qui le satisfait ». Cette déclaration insolite où le « Nous » arrive comme un cheveu sur la soupe n’est que le nième épanchement du Président « consensuel » au sujet des fameuses « relations privilégiées ».
Recevant le « comité syro-palestinien sur le droit au retour », Michel Sleiman a sauté sur l’occasion pour faire cette communication libre et confiante de ses pensées intimes. « Ce qui lie le Liban à la Syrie est bien plus important que ce qui les sépare. Une Syrie forte est capable de donner au Liban, de le soutenir; en revanche, le Liban ne peut le lui rendre que s’il est franc et sincère… », a-t-il affirmé.
Sonnez trompettes, battez tambours, une nouvelle ère de concorde et de fraternité est sur le point de s’ouvrir !
Mais l’homme n’est pas à sa première effusion. Dans l’avion qui le ramenait de Paris à Beyrouth, il avait déjà tenu à « remercier » le tyran syrien d’avoir « facilité » son élection en promettant d’entamer par Damas sa prochaine tournée dans les pays arabes.
Rien d’étonnant de sa part, diront certains. L’homme est prévenant. Il sait plus que quiconque ce dont le hachoir syrien est capable. Il sait aussi que si ce hachoir a été mis provisoirement en veilleuse, il pourrait fonctionner à tout moment en cas de changement de conjoncture. N’avait-il pas fauché par le passé deux présidents qui venaient juste d’être élus ? Les effusions ne sont jamais de trop et il vaut mieux prévenir que … périr, n’est-ce pas ?
Pour le moment, le tyran semble se montrer sous de meilleurs auspices, suppute-t-on à Paris. Il vient juste de rentrer d’un voyage triomphal en France où il s’est fait dorloter par un « nouvel ami » gagné à sa cause. Il serait donc hasardeux pour le président libanais d’aller à l’encontre d’un consensus qui se met en place.
Tout cela est bien beau, mais n’explique pas ce « Nous » bizarroïde. On avait compris de son discours d’investiture qu’il avait l’intention de se montrer un tant soit peu indépendant. Or, ce « Nous » fusionnel ne laisse rien augurer de bon sur les relations d’égal à égal entre les deux pays, mais plutôt d’une nouvelle soumission qui se complaît dans sa servilité.
Au lieu de jouer au porte-parole que personne n’a sollicité et puisqu’il a l’air si convaincu que la Syrie « va donner au Liban ce qu’il demande et ce qui le satisfait », qu’il la laisse d’abord le déclarer elle-même et surtout qu’il la laisse le prouver par les actes.
Le roseau plie, mais ne rompt pas, affirme Jean de la Fontaine. Michel Sleiman s’aplatit avant même que le vent ne se lève !