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L’armée israélienne avance en territoire syrien en violation de l’accord de cessez-le-feu d’octobre 1973.
Juché au milieu d’oliviers aux racines profondes, le petit village de Ma’arbah s’étire sur une ligne de crête à l’extrême sud-est de la Syrie. Depuis le toit de sa maison, Moheddine al-Hofari, 57 ans, domine la vallée de Yarmouk, frontière naturelle avec la Jordanie, et la rivière Ruqqad, servant sur quelques kilomètres de ligne de démarcation entre la Syrie et le plateau du Golan, occupé par Israël depuis la guerre des Six-Jours en 1967.
« Quand j’ai vu des soldats syriens s’enfuir et se débarrasser de leurs armes j’ai tout de suite su que Bachar el-Assad était tombé, mais ma joie a été de courte durée. Le lendemain, des troupes israéliennes ont franchi la frontière et sont entrées chez nous. Elles ont pris le contrôle du poste militaire juste au bout du village », raconte cet apiculteur, tendant son index en direction d’une petite bute coiffée d’une poignée d’eucalyptus. Il s’interrompt. Un drone de surveillance israélien survole la maison. « Nous sommes constamment observés, ils passent à basse altitude, même la nuit. »
« Rentrez chez vous ou nous ouvrons le feu »
Sur les maisons, des drapeaux blancs, souvent confectionnés avec de simples bouts de tissus, sont accrochés aux tiges métalliques sortant des toits. L’arrivée des soldats israéliens a perturbé le calme rural de Ma’arbah, désormais envahi par la peur. « Ils rentrent dans le village menaçant avec leurs armes, établissent un check-point puis repartent. Un matin, sous ma fenêtre, il y avait au moins 30 soldats et 4 véhicules militaires. Ils fouillaient les gens et les humiliaient en les forçant à se déshabiller, à baisser leur pantalon », déplore Khaled Abou Sabri dont la maison jouxte le principal croisement du village.
Vendredi dernier, un jeune d’un village voisin, Maher al-Hussam, a eu les deux jambes perforées par une balle israélienne. L’incident a eu lieu lors d’une manifestation spontanée d’agriculteurs du bassin de Yarmouk sur la route menant à la position occupée par Israël. « Ils nous ont envoyé un drone avec un hautparleur répétant : “Rentrez chez vous ou nous ouvrons le feu.” Personne n’a bougé alors ils ont tiré sur la foule. Ça fait deux semaines qu’ils nous empêchent d’accéder à nos champs. La route pour descendre dans la vallée passe juste à côté de leur campement. Si dans une semaine nous n’avons rien semé la saison est ruinée », s’inquiète Ahmed Youssef Ali, propriétaire de terres dans le lit de la rivière.
Une cinquantaine de kilomètres plus au nord, nichée à l’intérieur de la zone démilitarisée établie après le cessez-le-feu de 1974 entre la Syrie et Israël, alHamidiyah a des allures de ville fantôme. « Beaucoup d’habitants ont eu peur et sont déjà partis. Le village est sur la frontière israélienne, juste au pied de ces éoliennes », lance Fadi Omar en pointant les pales métalliques flottant au-dessus de la mosquée. Le long des 80 kilomètres de frontière commune avec l’État hébreu, une douzaine de villages druzes et sunnites sont désormais occupés par l’armée israélienne.
« Nous avons vu depuis le 7 décembre des incursions de l’armée israélienne dans la zone tampon où elle est toujours visible. Toute présence militaire non autorisée par les Nations unies est une violation de l’accord de 1974 », souligne un porte-parole des Nations unies. Et ce, en dépit des 1 300 Casques bleus déployés au sein de la Force de l’ONU chargée d’observer le désengagement (FNUOD), veillant au bon respect de l’accord de cessez-le-feu de 1974. Pour Tel-Aviv, le déclenchement de l’opération Flèche de Bachan – référence biblique aux territoires du sud de la Syrie – se justifie par le retrait de l’armée syrienne des postes frontaliers, laissant un vide sécuritaire qu’Israël juge propice à l’installation de groupes armés.
« Ils profitent du changement de régime en Syrie pour occuper de nouveaux territoires. Ils disent que c’est temporaire mais je ne leur fais pas confiance, ils vont nous forcer à partir comme ils l’ont fait dans la partie du Golan qu’ils ont annexée », regrette Fadi Omar. À la suite de la défaite arabe de 1967, près de 100 000 Syriens ont été chassés de leur village. Une perspective que redoute désormais Ahmed Youssef Ali : « En face, derrière cette rangée d’arbres, c’est Jubbayn. Mon grand-père y possédait une grande ferme avant d’en être expulsé. Son village a été détruit comme tant d’autres durant l’occupation du Golan. J’ai peur que ça soit mon tour maintenant. Ils ne donnent pas l’impression de vouloir en rester là. »
Une faible présence du HTC
Selon la FNUOD, plusieurs drapeaux israéliens ont été hissés sur trois positions de la zone démilitarisée depuis le 7 décembre. Le gouvernement israélien, a également donné son feu vert à un projet à 11 millions de dollars dont l’objectif est de doubler la présence de colons juifs dans le Golan occupé. Une mesure portée par plusieurs ministres d’extrême droite dont Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, ardents défenseurs de l’expansion territoriale israélienne.
« C’est la plus belle région de Syrie, mais c’est surtout une région stratégique pour Israël », estime Abddallah beni Khaled, un Bédouin expulsé en 1967 du village de Balut. Culminant à plus de 2 800 mètres d’altitude, le Jebel al-Sheikh (mont Hermon) est le principal tributaire du fleuve Jourdain. « Surtout, de leur position sur le Jebel al-Sheikh, ils ne sont plus qu’à une quarantaine de kilomètres de Damas. En hauteur, ils peuvent surveiller et attaquer directement la capitale », s’agace Abdallah. Israël Kantz, le nouveau ministre de la Défense israélien, a d’ores et déjà prévenu ses troupes qu’elles passeraient l’hiver au sommet du mont Hermon.
À l’entrée de Medinat al-Baas, ville nouvelle fondée en 1986 dans la zone tampon et nommé en référence au parti Baas au pouvoir en Syrie, un char Merkava israélien pointe en permanence son canon sur l’artère principale. « En rentrant, ils ont coupé des arbres, détruit des points d’eau et des installations électriques » confie un membre du groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Mais le long de la frontière, ses combattants se font plutôt discrets. « Nous avons pour consigne de ne pas répondre et de ne pas provoquer les Israéliens. Quand ils arrivent nous devons cacher nos armes », ajoute le jeune homme originaire de la ville.
Dénoncant une « menace d’escalade injustifiée dans la région », Ahmed al-Charaa, le nouveau maître de Damas, a jusqu’à présent cherché à éviter l’escalade militaire. Plus connu sous son nom de guerre Abou Mohammed al-Joulani, il puise pourtant ses origines familiales dans le Golan, région que ses parents ont dû quitter après la défaite de 1967.
« Même si on le voulait on ne pourrait rien faire, les Israéliens sont plus puissants. Après quatorze ans de guerre, les Syriens sont fatigués. On n’a rien contre eux, on veut juste que leurs soldats rentrent chez eux », lance Abdel Jabar Abou Khaled, un chef local des HTC de retour d’Idlib après sept ans d’exil forcé. Coiffé du keffieh rouge des Bédouins, il glisse ses doigts le long d’un chapelet de pierres blanches.
Comme de nombreux combattants et civils de la région frontalière, il a côtoyé de près les Israéliens. « En 2016, après une blessure au cœur lors d’un combat contre Daech, je me suis fait soigner en Israël, pendant quinze jours ils m’ont opéré à Naharya sur la côte proche de la frontière libanaise », confirme cet ancien combattant du Front al-Nosra, un temps affilié à alQaida.