Propos Recueillis Par R. D. Et A. Pt
en juin 2019,Michel Platini passait une journée en garde à vue à Nanterre (Hauts-de-Seine), dans les locaux de l’office anticorruption de la police judiciaire (OCLCIFF). L’ancien joueur était entendu dans le cadre de l’enquête du Parquet national financier (PNF) sur les soupçons de corruption entourant l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar. Un déjeuner pris en novembre 2010 à l’Elysée avec le président Nicolas Sarkozy et Tamim Ben Hamad Al-Thani, actuel émir du Qatar, est au cœur de l’information judiciaire ouverte fin 2019.
Que vous êtes-vous dit, ce 23 novembre 2010, en arrivant à l’Elysée ?
J’ai demandé à Sophie Dion [la conseillère sport de M. Sarkozy] à voir le président en tête à tête. Elle m’a appelé quinze jours après et m’a dit : « On va organiser un lunch », mais je ne savais pas qui il y avait. J’avais vu l’émir, au même titre que d’autres représentants des pays candidats. Il y a de grandes chances que je ne sois pas venu si j’avais été prévenu de la présence des Qataris. Je voulais voir « Sarko » seul.
Pourquoi ?
Je voulais simplement lui dire pour qui j’allais voter [le 2 décembre 2010, pour l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022 à la Fédération internationale de football (FIFA)]. Les Qataris n’avaient pas besoin d’être au milieu du truc.
Quelle a été finalement la discussion ce jour-là ?
Sarkozy a dit seulement une chose, sur la chaîne L’Equipe [en janvier 2018] : « Est-ce que vous voyez Michel Platini me demander pour qui il doit voter ? » J’y souscris. On n’a jamais parlé de la Coupe du monde le jour de ce déjeuner. Ils ont parlé de politique internationale.
L’Elysée a-t-il exercé un lobbying pour avoir votre vote ?
Je n’ai jamais senti de pression. J’aurais pu dire à Sarkozy que j’allais voter pour les Etats-Unis, même si cela ne l’arrangeait pas. C’est moi qui ai sollicité l’entrevue avec lui. Derrière, il y a des enjeux diplomatiques… C’est un truc important pour la France. Je suis élu en tant que Français au comité exécutif de la FIFA.
Qui vous a convaincu de voter pour le Qatar ?
Moi. C’est vrai que, sur la carte, Angleterre et Etats-Unis, c’était bien au départ. Et après, j’ai changé [d’avis]. Les Etats-Unis l’avaient eue [1994], les Anglais aussi [1966]. La Russie ne l’avait jamais eue. Je suis pour l’expansion, le développement du football. Qu’un pays arabo-musulman ait la Coupe du monde, c’était mieux que de la redonner à d’autres. Je voulais que cette Coupe du monde se joue dans tous les pays du Golfe, et pas uniquement au Qatar ; si j’étais resté à la FIFA, je l’aurais peut-être obtenu. Je voulais que ça se joue à Dubaï, à Abou Dhabi. Que ce soit le Golfe. Je l’avais dit à l’émir : « Je voterai pour vous à condition que la compétition se joue en hiver et que ce soit la Coupe du monde de tout le Golfe. »
Selon un article du « Guardian » paru en 2019, au moins 2 700 ouvriers migrants sont morts au Qatar entre 2012 et 2018. Cette information vous fait-elle regretter votre vote ?
Quand tu votes, tu ne sais pas qu’il va y avoir des morts sur les chantiers. Tu fais un choix, selon tes convictions profondes. La seule chose que j’ai dite, c’est que s’il y a eu corruption, il faudra enlever la Coupe du monde au Qatar. Ce serait de la responsabilité de la FIFA. J’avais voté Maroc pour le Mondial 2006 et je l’avais dit à Chirac. J’ai perdu. J’avais voté Italie pour l’Euro 2012 et j’ai perdu. J’ai toujours dit pour qui je votais. Vous voulez de la transparence, les journalistes ? Je dis pour qui je vote, et j’en prends plein la gueule…
Aviez-vous un intérêt personnel à la victoire du Qatar ?
Si j’avais eu un intérêt personnel, j’aurais demandé de l’argent aux Qataris. Si j’avais eu un intérêt financier, je ne serais pas allé voir Sarkozy. Les autorités suisses ont regardé tous mes comptes. Il n’y a pas un centime du Qatar. Je n’ai pas besoin de l’argent du Qatar, j’ai été l’un des meilleurs joueurs du monde, j’en ai gagné, de l’argent. Je n’ai pas besoin d’aller me corrompre. Pour quoi faire ? Je suis un homme libre. J’ai d’ailleurs toujours été opposé à l’arrivée [en 2011] des Qataris au Paris-Saint-Germain.
LE MONDE